Parmi les textes reçus en réponse à la proposition d’écriture de Martine Leroy-Rambaud, à partir du roman de Russel Banks « Un membre permanent de la famille », nous avons choisi de publier 4 textes cette semaine!
Voici celui de Marie-Laure Schisselé
Penser à dormir
Dimanche matin, il n’y a pas grand monde dans le métro. Je me dirige vers une place près de la fenêtre, dans le sens de la marche et, au moment de m’asseoir, je ramasse un papier qui traîne sur le siège et le garde machinalement. Il est proprement plié et, la curiosité aidant, je l’ouvre. Des mots sont écrits au crayon, les uns en dessous des autres : une liste! Elle est courte, cinq lignes, mais je la lis une deuxième fois :
CHOCOLAT NOIR
PAYER DETTES
TILLEUL
VERVEINE
DORMIR
« Dormir », entre supplique et injonction, quel drôle de pense-bête ! Un ou une insomniaque ? Une, plutôt, vu les tisanes qu’elle se promettait d’acheter. Je pense à une retraitée. Je l’imagine le soir dans son lit, comptant, non pas les moutons, mais ses dépenses incompressibles, loyer, impôts, mutuelle, chauffage…, d’où elle déduit le peu qui lui reste pour le mois. « C’est impossible », elle se dit qu’elle s’est trompée et elle recompte. Bientôt les chiffres ne veulent plus rien dire, ils dansent devant ses yeux grands ouverts et lui donnent le tournis. Si seulement il s’agissait d’un cauchemar… Ce pourrait être ma mère, à la retraite depuis cinq ans. Cette femme a toujours connu un train de vie étriqué et, malgré la diminution de ses revenus, elle n’a pas su le revoir à la baisse. D’où l’engrenage des crédits à la consommation dans lequel elle s’est trouvée entraînée, au point que j’ai décidé de l’aider à sortir de ce piège. Mon inconnue du métro aura-t-elle cette chance ? Perdre un tel inventaire comme elle l’a fait ce matin montre qu’il y a urgence. Soudain je me lève, RÉPUBLIQUE défile de plus en plus vite. Trop tard, j’ai raté ma station.
M-L.S.
