Cette semaine, voici les deux textes que nous avons choisi de vous présenter, en réponse à la proposition d’écriture d’Alain André à partir du roman de Ito Ogawa: « Le restaurant de l’amour retrouvé » (Éditions Picquier, 2013). Voici celui de Michelle Garcin.
La soupe turque
Ce soir, le chat, je cuisine pour Mamita, la grand-mère de mon époux.
Elle est très vieille, très seule. Sept enfants, douze petits-enfants, mais plus de mari.
Mamita se perd dans le silence de sa grande maison, a toujours froid, dit qu’elle ne sert plus à rien. Que rien ne sert à rien.
Elle a épuisé la patience de celles de ses filles et brus qui lui portaient un repas.
Pas la mienne ? Non, pas la mienne.
C’est l’été bien sûr, mais pour Mamita, qui sent l’hiver dans ses vieux os, je prépare une soupe de février. Une soupe que j’ai mangée un jour de grands vents à Istanbul.
Les échalotes à blondir dans l’huile d’olive…
Si je connais la recette ? Non.
Mais je me souviens très précisément de son goût, de sa chaleur, des femmes kurdes préparant à genoux les galettes de blé, du bleu du ciel coupé brutalement par l’averse glacée et à nouveau déplié. Alors, je la réinvente.
Regarde, des lentilles corail : c’était une soupe rousse. Puis les tomates, les carottes en rondelles.
Tu sais le chat, je crois que c’est parce que je l’écoute que Mamita m’attend.
Une courgette pour le velouté. De l’eau bouillante.
De l’ail. Et puis les aromates, une feuille de laurier, du thym, du romarin. Les épices, safran, curcuma, poivre, un piment oiseau.
Il y avait tout ça ? Je ne sais pas. C’est pour faire danser les saveurs.
On laisse mijoter.
Pousse-toi le chat, c’est moi qui goûte. Du sel.
Je moulinerai bien fin, puis j’ajouterai le citron et la coriandre ciselée dans son bol.
Elle lapera à petits coups et racontera encore les Pères blancs étouffant sous leur soutane de laine, le mobilier en caisses d’oranges, le boy dormant à la porte, le rugissement du lion dans la nuit.
Trois années de jeunesse où la petite bourgeoise a vécu l’amour et l’Afrique avant de retourner, son premier enfant au bras, à la vie parisienne.
Elle dira : c’est fort, ça tient chaud…
M.G.