Cette semaine, voici le texte de Françoise Durif en réponse à l’appel à écriture de Sylvie Néron-Bancel à propos du livre de Nicolas Clément « Sauf les fleurs » (Buchet-Chastel, 2013).
New-York
Elle voulait voir sur leur visage l’émotion qu’elle ressentait toujours.
Pascal, son compagnon, copilote sur le vol cargo, avait proposé cette fois de les emmener tous les trois.
La veille, il y avait eu l’épreuve des laissez-passer au bureau de police de l’aéroport : les accompagnants cargo n’étaient pas des passagers comme les autres.
Elle voulait transformer la corvée en récréation et c’était avec des mines de conspirateurs qu’ils avaient poussé la porte « Entrée interdite ».
Elle n’avait obtenu que les sourcils froncés des policiers quand Stéphane, son aîné de 9 ans, avait lancé pour rire : « J’aime pas les flics ! ».
Elle voulait le réprimander mais le filet de sa voix s’était perdu sous la voix forte de Pascal : « Merci, au revoir Messieurs. Dépêchons-nous, nous devons encore préparer nos bagages !».
Le vol s’était bien passé, les enfants rapidement endormis.
Elle voulait recevoir leurs toutes premières impressions. Elle ne cessait de répéter : « Les enfants, vous êtes à New-York ! »
Elle n’entendait en retour que des soupirs fatigués et Emilie qui commençait à pleurer.
Une voiture les déposa au bureau d’immigration, une pièce nue, mal éclairée, meublée en tout et pour tout d’un bureau aux tiroirs disloqués. Un homme énorme, traînant les pieds, s’assit pesamment sur la chaise d’un autre âge et, sans un mot, tendit sa main grasse.
Elle voulait dire quelque chose, mais ne trouva qu’un « Good evening, Sir ! » et montra leurs passeports. De nouveau, le silence. Elle les regardait tous, voulait sourire aux traits tirés de Pascal, avança la main pour caresser les cheveux d’Emilie, qui la repoussa en même temps que Stéphane fit entendre un rot bruyant.
Elle n’était plus que fatiguée.
Françoise DURIF