Cette semaine, nous publions le texte de Christine Courcol, en réponse à la consigne d’écriture de Françoise Khoury, élaborée à partir du livre de Thomas Clerc « Intérieur », à retrouver ici
Cheval blessé
Massif, barbu, cheveux fournis, la soixantaine, toujours engoncé dans une pelisse et des bottes qui lui donnaient une allure d’homme des bois, il s’installait dès le petit matin sur son pliant au bord de la rue sillonnée par les voitures. Il faisait encore nuit, il était là, avec son drôle de cylindre en carton pour recueillir les oboles. Il était là même quand il pleuvait, abrité sous un petit parapluie.
Quoi que je fasse, il se trouvait sur mon chemin. Chaque fois que je passais devant lui, son regard brillait de plaisir, du moins je le croyais. Il me saluait, inclinant le buste, la main droite posée sur le cœur, sans un mot. Je lui souriais, disais « bonjour Monsieur » parce que c’était un vrai monsieur, mais je ne lui donnais rien, ne voulant pas entretenir avec lui un rapport commercial. Sauf une fois, avant Noël, où j’ai sorti un billet. Il n’a rien dit mais m’a offert un sourire radieux.
Les jours de mauvaise humeur, je traversais pour l’éviter. Ces jours-là, je m’en voulais de ma grossièreté. Je m’en voulais aussi, les autres jours, de vivre dans un appartement bien chauffé, alors que lui passait ses journées sur son pliant.
Comme le cheval blessé de Jacques Prévert, « il était là, il attendait ». C’était mon voisin le plus intime et le plus nécessaire, celui dont l’existence questionnait ma vie. Peu à peu, il m’est devenu indispensable. Et puis, un jour, sans me prévenir, il est parti.
Je le cherche des yeux dans toutes les rues, je ne sais même pas son nom. Il me manque.
Christine Courcol