Cette semaine, le texte de Christine Court-Son à partir de l’appel à écriture de Françoise Khoury issue du livre d’Eric Chevillard, « Le désordre Azerty » (Minuit, 2014).
Navré-navet
Lise achète un navet chez Dia et une phrase la traverse : « Je suis navré ». Je suis navré, je suis navet, clown blanc bras écartés dans un mauvais cirque. Ne jamais croire les assureurs et les banquiers qui vous disent : « Je suis navré ».
Un enfant de dix ans demande au vendeur de Dia où sont les navets. Le vendeur grognon lui dit : « Hé, regarde devant toi au lieu de poser des questions, tu sais pas regarder? » L’enfant attrape d’un air dégagé ce qui a pour lui une allure navet : un radis noir, une racine de gingembre. Lise lui demande : » Tu sais comment c’est des navets ? » Le gros garçon fait non en baissant la tête. Lise les lui montre, approuvée par une dame. Les deux poules gonflent leurs ailes en glougloutant, l’enfant vergogneux s’esquive avec ses navets.
Le navet me navre. Son écorce grisâtre qui vire au violacé a quelque chose d’inaccompli, comme une passion qui n’est pas parvenue à son épanouissement, une libido qui s’affirme trop tard, une quinquagénaire en minijupe folle amoureuse d’un ami de son fils aîné. La chair du navet cuit, molle et fade comme son nom, a une odeur d’hospice.
Nathalie Court-Son