Parmi les textes reçus en réponse à la proposition d’écriture de Alain André, à partir du livre de Salman Rushdie « Joseph Anton, une autobiographie », nous avons choisi de publier plusieurs textes.
Voici celui de Marie Agnès Dalleas.
Naître fille
« C’est une fille, Monsieur »
« Ah… »
Imperceptible affaissement des épaules. L’homme s’avance dans la chambre faiblement éclairée. Se penche vers la femme allongée sous des draps immaculés. Un baiser sur le front encore humide, une caresse sur les cheveux. Faible échange de sourires.
Regard vers le nourrisson emmailloté de blanc, la troisième fille.
Regard sur ce paquet d’où seules émergent la tête aux paupières rougies par le travail de naître et deux menottes aux minuscules ongles translucides.
Une pensée file dans la tête de l’homme : j’aurais tant voulu un garçon… Aussitôt échappée, aussitôt oubliée. Va se ficher dans le cœur du bébé.
Juste des sensations, des malaises. C’est tout, ce n’est pas rien.
C’est si touchant un bébé naissant. Envolés les regrets. Le désir grossit d’aimer ce petit être neuf, messager d’ailleurs et de vérités inouïes peut-être.
La vie est belle… Merci la vie.
Dans l’intime de l’enfant, l’erreur originelle. Un mal-être sans nom. Comment se faire aimer?
Rien de plus simple à première vue : s’ajuster.
Ne pas déranger davantage, demeurer sage, se mettre au diapason, plaire, taire ses questions.
Les petites filles savent enterrer leur douleur derrière leur sourire.
Et puis grandissent, apprennent à puiser leur force dans la tristesse l’ennui la honte, apprennent à penser à douter – à vivre.
M-A.D.