Cette semaine nous avons choisi trois textes, voici celui de Michelle Garcin, en réponse à la proposition d’écriture à partir du livre de Patrick Deville « Peste et choléra », à retrouver ici.
LOUIS
Louis naît en 1913 à C. Vingt maisons accrochées à mi-pente d’un éperon rocheux : à l’adret, les champs d’amandiers puis la mer des collines. À l’ubac, l’encre abrupte des sapins.
Un enfant taiseux. Ne conversant qu’avec les nuages, son chien.
1924, la polio. Elle le couche un an. Lui offre la langue : le curé lui a ouvert sa bibliothèque. Hagiographies, textes antiques, il lit. Nymphes et saintes l’accompagneront.
Boiteux, il sera cordonnier. C’est notre « savant », il écrit au notaire, à la préfecture pour nous.
1935, Rose, l’institutrice : un printemps à elle seule.
Sur la semelle des bottines qu’elle lui a confiées, il écrit pour le prix « Ton pied léger croise mon chemin, Rose, fleurit le matin. »
Le bonheur est silencieux. Je n’ai rien à conter de ce temps. Si, Florian et Marguerite. Et l’herbier. Sur des cahiers d’écoliers, Rose copie les poèmes qu’il lui offre. Elle y glisse des fleurs sèches.
Mars 1947 : les amandiers ont gelé. Enfants et femme sont partis en l’espace de quelques jours.
Mai 1948, il erre par les bois. Dort dehors dans un lit de genêts.
Parfois, il s’enfouit entre les jambes d’une veuve. Son silence, ses yeux sources gelées : elle n’ose pas glousser quand l’extase vient.
Maintenant il écrit pour les nymphes des cimes, des vallons. Dans un pli d’écorce, il glisse des vers pour la dryade qui saura les lire. On trouve parfois une feuille, y subsiste un fantôme de vers, comme trace d’escargot.
Août 1963, des gamins entendent un brame de bête dans l’à-pic. Une journée pour rapporter ce grand corps. Terre, sang, silex des os.
Louis déparle, dit le chœur des voisines. Si on entendait le grec, on pourrait saisir, au milieu du flot de la douleur, l’écume de quelques mots. Il est question d’une île et d’un grand lit taillé à même le tronc d’un olivier. Mais on ne sait pas.
M.G.