Cette semaine, nous publions six textes en réponse à la proposition d’écriture de Solange de Fréminville à partir du roman de Patrick Modiano « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » (Gallimard, 2015). Voici celui de Laurence Soubrick.
La rue de mon enfance
La rue Keller, Paris 11ème, métro Bastille, est la rue de mon enfance, celle qui m’a vue naître. Y a-t-il un général Keller ? Il faudra que je cherche dans l’annuaire.
Je la connais par cœur ma rue, chaque porte, chaque commerce, le petit passage sombre qui donne dans la rue des Taillandiers, mon école et sa cour de récréation.
L’odeur du pain chaud de la boulangerie de Madame Bonnet, son mari sur le pas de la porte couvert de farine, Le Père Fizz, le bougnat d’en face, sacs de charbon sur le dos. L’un tout noir, l’autre tout blanc.
Madame Bergougnoux, la marchande de bonbons en face de l’école et ses bocaux multicolores, les globaux gagnants, les Mistral gagnants aussi, les roudoudous, les caramels vendus à l’unité…
Le marchand de journaux que l’on surnommait Gros Matou, le beau teinturier et sa mèche à la Nino Ferrer, dont encore enfants, nous étions déjà toutes amoureuses.
Madame Tenembaum la crémière et son comptoir de marbre blanc, chez qui on descendait chercher 50 grammes de râpé pour égayer nos coquillettes.
La Marseillaise, mercière de son état et son accent chantant, chez qui on se fournissait en élastique au mètre pour venir au secours de nos petites culottes usagées.
La cour pavée de mon immeuble et sa fontaine, objet de tous nos jeux, la première marche de l’escalier, lieu de confidences entre copines.
Le vitrier, le rémouleur et le chanteur des rues à qui nous lancions une pièce dans du papier journal, et l’enfance qui s’éloigne un peu plus et qui me fait sourire et quelquefois pleurer.
Un monde avec ses couleurs, ses odeurs, ses bruits… Un monde dont la gravure ne s’estompe jamais tout à fait.
L.S.