Cette semaine, voici le texte de Claire, en réponse à la proposition d’écriture à partir du livre de Paola Pigani « N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures » (Liana Levi, 2013) à retrouver ici.
Relégation
Dans le car, chacun a trouvé sa place. Debout au milieu du couloir, je ne sais pas où me mettre. C’est tombé tout d’un coup : je ne sais plus où me mettre. Ni plus quoi faire de moi, de mes bras, de mes jambes, plus quoi faire de ma voix, de mes yeux.
Sur la photo, on voit bien le regard perdu, apeuré, cherchant l’issue. Effroi fixé sur le papier par Vinca au moment du départ, classe verte, découverte, Beaune en Bourgogne, c’est l’heure, Marie, on va partir, il faut s’asseoir.
J’ai le souvenir du car qui démarre. Un doute aussi, à cause du rétroviseur, où le chauffeur a dû voir mon errance dans le couloir, désarroi de la petite au milieu qui ne sait plus quoi faire de sa peau, de ses yeux. J’ai la sensation d’un car qui démarre, léger chaos au moment des roues, corps chahuté avant arrière et je m’accroche aux sièges et les autres rient de me voir bringuebaler − mais peut-être que personne ne rit au fond − c’est un mirage, une illusion.
J’entends des voix. Il faut s’asseoir. Se mettre quelque part. Prendre place. Je ne sais plus quoi faire de moi, étrangère à moi-même, projetée en périphérie, reléguée loin du centre. La veille au soir, on a fêté mon anniversaire. Au moment du cadeau, j’ai dû serrer trop fort, en embrassant maman, parce qu’elle a dit Tu m’étouffes en reculant. Jamais fait ça avant. Le jour de mes douze ans, elle a perdu les gestes du câlin maternel réglementaire, la tête dans le cou, les bras qui enlacent. Tu m’étouffes, elle a dit, un peu lasse. Tu es grande maintenant.
Claire