Cette semaine, voici le texte de Carine Crosnier, en réponse à la proposition d’écriture à partir du livre d’Emmanuelle Pagano «Nouons-nous», à retrouver ici.
Carine CROSNIER
L’ascenseur s’ouvre et j’aperçois aussitôt sa silhouette frêle, fragile et nerveuse. D’un pas rapide – café sans odeur ni saveur à la main – il regagne son siège. Comme tous les matins, il me salue vaguement et sans grand enthousiasme. Ainsi caché derrière son ordinateur, il semble être déjà en colère contre le monde entier et bien entendu contre moi. Ses sourcils se lèvent, son front se plisse, il tape nerveusement sur son clavier, déjà persuadé que la journée sera pénible. Je me demande souvent comment il me perçoit. Qui, ou tout du moins que suis-je pour lui ?
Elle est là, flanquée en face de moi depuis 7 mois, 17 jours et 30 minutes. Croyez-moi, j’ai eu le temps de l’observer et même parfois de l’admirer. C’est un joli brin de fille, avec une classe naturelle, de celle qui n’a rien à voir avec le montant investi dans la garde-robe. Elle semble acheter ses vêtements selon des critères bien précis et hiérarchisés : praticité, confort, couleurs acidulées. Ses boucles naturelles virevoltent autour de son visage à chacun des mouvements de sa tête. Ses yeux sont d’un bleu-vert transparent, très pur. Que cache-t-elle, pourquoi sourit-elle toujours alors que son regard est si mélancolique ? Depuis qu’elle est là, je me sens mieux, je crois que nous pourrions devenir amis.
Ça y est, le revoilà en train de m’observer, persuadé que je n’en vois rien !
Toujours aussi distant et muet. Que cherche-t-il ? Qu’attend-il de moi ?
Elle me regarde, je sais qu’elle s’interroge. Elle enroule toujours ses cheveux lorsqu’elle réfléchit.
Il baisse aussitôt les yeux et recommence à pianoter sur son clavier, l’air concentré et surtout sévère. Je vais finir par croire que ma présence suffit à l’irriter.
Je voudrais tellement pouvoir lancer le dialogue, je sais qu’elle, elle m’écouterait…
C.C.