Cette semaine, le second texte en réponse à la consigne d’écriture de Sylvie Néron-Bancel (ici) à partir d’Alessandro Baricco « Mr Gwyn » (Galimard, 2014).
Voici celui de François Momal.
Terminus
Peu de temps avant mon arrivée, ils t’avaient injecté une bonne dose de morphine. Un peu trop forte peut-être ? Voulaient-ils libérer au plus vite ton lit pour un autre mourant ? Je m’étais assis sur une chaise en bord de lit et je tenais ta main. Tu étais déjà bien descendu dans un entre-deux.
Une infirmière était soudainement entrée dans la chambre et avait examiné tes pupilles en soulevant tes paupières fermées. Des bruits et une odeur âcre montaient du fond de tes poumons mangés par la maladie. Tu sais, cette odeur, je l’ai sentie plusieurs fois par la suite, planer à mes côtés.
Tout en tenant ta main de ma main gauche, je feuilletais de la main droite un techno-thriller d’un auteur à succès de l’époque. Il fallait bien que je m’occupe l’esprit, tout en t’accompagnant dans ta descente au séjour des morts. Tu n’étais plus très bavard. Seuls des gargouillis témoignaient de ta vie qui refluait à grande vitesse.
L’infirmière était repassée vider le pistolet à urine.
Sur la table de nuit, un mouchoir brodé à tes initiales, venait me rappeler qu’avant d’être un patient des soins palliatifs, dont on retirait le pistolet de sous les draps, tu avais été un élégant vieil homme qui se parfumait au « Bel Ami » et qui fumait des Marlboro dont les paquets n’étaient pas encore ornés d’un « Fumer tue ».
Je remarquais ton rictus contrarié. Fin non prévue au programme ?
Parfois, au restaurant, il te venait des sautes d’humeur et tu pouvais engueuler le patron si l’attente entre deux plats se faisait trop longue. Difficile désormais d’émettre des réserves sur la qualité du service.
En partant je t’ai touché le front, par acquis de conscience, sous ta belle mèche grise.
François Momal