Cette semaine, en réponse à l’appel à écriture lancé par Hélène Massip nous avons choisi de publier deux textes, pleins d’humour, en écho au livre de Serge Joncour « L’Ecrivain National » (Flammarion, 2014), à découvrir ici.
Voici le second texte, de Viviane Clément l
Hanna
Mon père devait aller chercher Hanna à la gare mais c’est un taxi qui l’a déposée devant la maison. Elle arrivait de Suède et, même après un long voyage, elle était très élégante. Elle portait un tailleur en lin beige sur un joli chemisier fleuri. Chez nous, il n’y avait ni portail ni clôture et elle s’est avancée dans l’allée boueuse en tirant sa valise, qui sautillait sur les mottes de terre. Elle a dit simplement avec un très joli accent : bonjour, je suis Hanna. Ces quelques mots ont déclenché un concert d’aboiements et nos deux gros chiens se sont précipités sur la nouvelle venue, tout joyeux et en quête de caresses. Malgré les hurlements de ma mère, ils ont laissé de grosses traces noires sur la jupe d’Hanna et de la bave sur ses chaussures. Mon petit frère est arrivé en rigolant, repoussant les chiens de son bras plâtré. Je crois que cette année-là, il était tombé de l’échafaudage. C’était un adorable casse-cou. J’éprouvai alors un élan de sympathie pour Hanna, qui serait chargée de sa surveillance. Mon père est descendu du toit où il changeait quelques tuiles et s’est avancé la main tendue. Mais comme celle-ci était aussi poussiéreuse que sa moustache, il la remit vivement dans sa poche. Après avoir enfermé les chiens dans leur enclos, ma mère s’est approchée à son tour. Elle avait négligemment noué ses cheveux roux dans un foulard pour jardiner. Ses genoux et ses mains étaient noirs de terre. Elle portait un grand tee-shirt publicitaire où on pouvait lire sur la poitrine « Mangez du saucisson comme ma grand-mère » et au dos « Vous deviendrez centenaire ». Hanna restait calme et réservée, son comportement reflétait sans doute sa bonne éducation. Ma sœur nous rejoignit après avoir libéré les chiens car elle ne supportait pas de les voir enfermer. Je compris à son regard qu’elle pensait comme moi : Hanna, tirée à quatre épingles, ne ressemblait en rien à Dolo, la jeune espagnole de l’été dernier, qui montait les poneys à cru, nous réveillait à quatre heures du matin pour pétrir la pâte et cuire le pain et m’avait aidé à repeindre ma chambre de dessins psychédéliques, qui maintenant participaient à mes cauchemars.
Le petit groupe s’avança dans la maison et mon petit frère semblait prodigieusement intéressé par les chaussures d’Hanna, dont les talons étaient couverts d’une boue épaisse joliment ornée de brins d’herbe. On ouvrit la porte de la chambre qui lui était destinée. Hanna remercia poliment. Elle parlait un français impeccable et sa diction était parfaite. Je me demandais quelle serait sa réaction si elle découvrait les deux molosses baveux allongés sur son lit battant mollement de la queue sans aucune velléité de fuite. Soudain une forte bourrasque secoua les rideaux et la barre qui les retenait se fracassa sur le parquet. Les chiens se précipitèrent dans la chambre, renversant la valise et piétinant allègrement le sac à main d’Hanna. Mon petit frère imitait Tarzan en poussant des cris et rebondissait sur le lit en gesticulant comme un singe. A cet instant tous, y compris Hanna, nous avons pensé que nos futures vacances seraient détestables. Et bien, nous avions tort.
Viviane Clément
Viviane Clément