Cette semaine, voici les deux textes que nous avons choisi de vous présenter, en réponse à la proposition d’écriture d’Alain André à partir du roman de Ito Ogawa: « Le restaurant de l’amour retrouvé » (Éditions Picquier, 2013). Voici celui de Pamela Ireland
La tarte à la rhubarbe
J’avais peut-être treize ans. C’était un jour normal sauf que, soudain, ce n’était pas normal de tout : Tom, mon petit frère, est parvenu à ouvrir la porte d’entrée et à sortir sans être vu. Papa a appelé la police de la cabine en face de l’église et puis il est parti chercher à pied. Maman est partie avec Monsieur Rossignol, le voisin, qui avait une voiture. Quelqu’un devait rester à la maison et c’était moi.
Que faire ? Ils auront besoin de quelque chose à manger à leur retour. Une tarte à la rhubarbe. Il y avait tous les ingrédients pour la faire et, en plus, je savais comment préparer une tarte : Maman m’avait appris.
J’ai préparé la pâte : sucrée. Il y en avait trop, mais pas de gaspillage, la pâte ne sera pas fine mais tant pis. J’ai lavé la rhubarbe et l’ai découpée en tronçons. Pas les feuilles – les feuilles sont toxiques Maman m’a dit.
De temps en temps on frappe à la porte : « Il est retrouvé le petit ? » « Non Monsieur. » Et je m’occupais de la tarte à la rhubarbe. Ils auront besoin de quelque chose à manger quand Tom sera retrouvé. Faire quelque chose de normal.
La rhubarbe était de la variété rose/verte aux tiges épaisses et acide, très acide : elle demandait donc beaucoup de sucre. Et peut-être de la crème anglaise s’il y a assez de lait : est-ce qu’il y a du lait ? Mais où est-il ? Non. La tarte. Pense à la tarte. Ils auront besoin de quelque chose à manger…
J’ai étendu la pâte au rouleau, tapissé le vieux moule à tarte en fonte émaillée avec la pâte trop épaisse, rangé la rhubarbe là-dedans et vidé le paquet du sucre dessus. Et Maman est là, avec Monsieur Rossignol et Papa et Tom.
Je n’ai aucun souvenir d’avoir mangé la tarte à la rhubarbe. Je n’ai jamais mangé de tarte à la rhubarbe depuis.
P.I.