Cette semaine, nous vous proposons le texte de Claire Le Goff, en réponse à une consigne d’écriture de Sylvie Néron-Bancel à partir du livre de Laurent Mauvignier « Autour du monde » (Minuit, 2014).
Retour de neige
A l’arrière de la voiture je porte un sweat blanc, un pantalon imperméable, la doudoune sur les genoux. Dans mes oreilles, les écouteurs étouffent le bruit du moteur, le murmure de l’ennui. On rentre à la maison. A la sortie du village, mon père (il est comme ça, mon père) baisse la vitre et salue ces deux-là qui déblaient la neige pour faciliter le passage : un type un peu vieux, d’au moins quarante ans, et un autre plus jeune, son fils on dirait, mon âge, avec des cheveux, et puis des yeux : un brun avec le regard. Je ne suis pas du bon côté, ne montre pas le meilleur profil, celui qui fait le nez bien droit, lisse au mieux la rondeur de la joue. Jamais du bon côté. Je fais semblant de ne pas voir celui-ci qui m’aveugle (à moins que ce ne soit l’éclat conjoint de la neige et du soleil), irradiant comme l’autre, ignorant ma présence derrière le carreau, souriant à mon père qui, bavard intarissable, s’intéresse, se raconte, et ça n’en finit pas. Quelle heure est-il, quand serai-je chez moi, au moins huit heures de route, et que fait l’autre là-bas, au-delà des montagnes, qui ne me voit pas davantage? Dans mes oreilles, un doux rebelle fait le vœu d’un duel au soleil avec une qui n’est pas moi. A l’arrière de la voiture, dans mon sweat blanc, enfouie sous la plume d’oie, j’entrevois ce que ce doit être quand un garçon vous voit, et me demande combien j’en verrai encore, des comme ça, qui ne me verront pas.
Claire LE GOFF
