Vos textes à partir de « La robe de mariée » de Katherine Battaiellie (1/2)

Il y a 15 jours, Hélène Massip vous proposait d’écrire à partir de La robe de mariée de Katherine Battaiellie (éditions Marguerite Waknine, 2015). Parmi la trentaine de textes reçus, nous en avons choisi 10, que nous présentons en deux posts distincts. Merci à tous de votre belle participation, pour ce livre autour d’une artiste d’art brut !
V. Willmann Rulleau

TOMBER DE RIDEAU

Sur ma machine à coudre, deux panneaux de rideaux naguère élaborés par toi, trouvés dans l’armoire après ton décès.

Vert encore à certains endroits, devenu jaune très doux à d’autres, le chintz imprimé est encore vivant entre mes doigts.

Ma couture d’assemblage file droit, régulière, le long de ton ourlet cousu de coton beige. Ta machine était sans doute à la peine, je découvre le tracé erratique de tes coutures, points trop serrés, fil tordu et bouloché sur place. Quelle énergie t’a-t-il donc fallu pour combattre la machine, tirer le tissu, entrainer l’ouvrage ? J’entends encore le bruit que faisait toujours ta Singer dans la lingerie, grondement furibard, tank enrayé, moteur emballé, vélocité contrariée d’un temps volé.

J’enfouis mon visage dans le tissu, le chintz craque, il est frais et lisse. Sa glaçure se dérobe, s’échappe sous le pied de la machine. Il faut garder la main, ça dérape et ça glisse, ma couture dévie, le fil casse. Aurais-tu eu les mêmes difficultés ?

J’arrive enfin à pacifier les rives antagonistes, rassemble et calme les ourlets décalés, petit biais, petits plis, ni vu ni connu, j’ai réparé, assemblé et conçu un unique panneau.

J’ai voulu alors laver mon ouvrage assemblé.

Las, les tissus se sont déchirés au premier coup de vent sur l’étendage, rétifs à toute réconciliation : la greffe n’avait pas pris, malgré les nombreux points de suture.

V.W.R.

 

Gastaldo Galadriel

 

Je passe et je repasse mon crayon, continuellement, sur la même ligne, je l’accentue. Le trait devient gris, presque noir. Alors, je passe à un autre trait et étale la mine de mon crayon sur le papier.

Bientôt ma création prendra forme, mais, patience.

Chaque trait compte.

Je ne sais pas vraiment ce que je fais. Ma main me guide. Elle trace les traits, les effacent ou bien en rajoutent d’autres, plus petits ou plus gros. Plus fort ou plus léger.

Bientôt…

Cela fait 2 jours. 2 jours que je ne fais que tailler et retailler mon crayon, pour achever enfin mon œuvre.

J’abats avec violence la mine de mon crayon sur le grain de la feuille, et je recommence, perpétuellement le même geste. Sans relâche.

Trait par trait, je crée.

Trait fin, trait moyen et gros trait prennent forme sous mes yeux. Dessinant une tignasse folle de fils, s’entremêlant et construisant petit à petit ma plus belle création.

Je m’attarde encore et toujours sur quelques traits. Les rendant plus noirs que la suie.

J’en grossis certains, d’autres non. La matière se révèlent sous mes doigts. Je la modélise au grès de mes envies.

Dessinant de l’ombre plutôt que de la lumière.

Je m’approprie totalement le papier. Le rendant mien, je propage la couleur de mon art sur toute sa surface. Ne laissant nulle part transparaître la moindre tâche de blanc.

Seulement le noir profond du fusain et le gris brillant du crayon.

Dans cette œuvre, le noir est roi. Je m’amuse avec lui. Faisant de ma feuille un vrai relief de ses nuances.

G.G.

 

Rose Tacvorian

LA ROBE ROSE

Tu lisses avec soin le tissu. Tu chasses le moindre faux pli. Tu le recouvres de morceaux de papier fragile comme de la soie. Tu me dis que ce sont des patrons. Je ne comprends pas pourquoi on appelle ça des patrons. Tu en suis les contours avec une craie blanche. Je te demande si tu as bientôt fini.

Tu découpes le tissu en suivant soigneusement la craie blanche, avec une paire de ciseaux immense qui fait un bruit de radis qu’on croque lorsque la lame mord le tissu. Le sol se jonche de fils roses. Tu bâtis à grandes aiguillées avec un fil noir, fait un premier essayage, recules pour mieux voir. Je trouve que la robe n’est pas belle. Je te demande pourquoi c’est si long. Tu me dis d’aller jouer dans ma chambre. Je reste plantée devant ta machine à coudre, en tirant sur l’élastique de ma petite culotte.

Tu assembles les morceaux, fait un deuxième essayage, des épingles plein la bouche. J’ai peur que tu n’avales une épingle. J’essaie de t’en enlever une ou deux. Tu m’ordonnes de ne pas bouger. Je te demande pourquoi c’est si long.

Tu couds des boutons. Le temps me paraît interminable mais je ne te quitte pas des yeux. Tu branches le fer à repasser et aplatis les coutures. Encore un essayage. Je dois lever les bras bien haut pour que la tête passe. Je suis fatiguée. J’ai besoin de mon pouce dans ma bouche, que tu m’enlèves sans ménagement. Je sens le tissu tiède glisser sur mes épaules.

Je vois dans le miroir une merveilleuse robe, qui me fait monter le rose aux joues.

R.T.

 

Marie Bordes

L’usure et la réparation. 

Parmi des tissus anciens aux couleurs fanées, un échantillon d’étoffe de coton damassé attire mon attention. Ses teintes, vert d’eau, beige et acajou sont flétries par la lumière, altérées par les années.

Je découpe grossièrement un morceau dans l’étoffe. Et commence l’exploration de l’usure.

Lézarder. Craqueler. Étirer. Cisailler. Déchirer. Éventrer. Déchiqueter.

Dans un café bouillant non filtré je teins un rectangle en gaze de coton blanc, des minuscules points noirs vestiges du café s’incrustent dans la trame en séchant.

Le tissu rapiécé et la gaze délicate se rencontrent : je couds l’un sur l’autre. Je donne un sens à l’usure : le temps de la reconstruction est né.

L’outil de la renaissance est une aiguille munie de fils de coton brun foncé.

Soulager. Consoler. Panser. Repriser. Equilibrer. Compléter.

Je lance des fils de l’étoffe à travers la trame de la gaze. Les fils se croisent, s’emmêlent, se libèrent au rythme de mon aiguille. Ma main guide les fils dans l’infinité de la surface. Je coupe le fil et arrête son errance là où l’équilibre est nécessaire.

Une nouvelle forme naît doucement.

Elle croit. Grandit. Intensifie son caractère. Magnifie sa présence.

Un monstre aquatique flottant à contre-courant.

Les synapses d’un cerveau en pleine ébullition créative.

Le plan des routes d’une ville embrouillée.

M.B.

 

Marguerite Morand

 

D’abord il ne vit rien mais entendit un bruit mat et lourd suivi d’un autre plus métallique.

Au fur et à mesure que son regard s’habituait à l’obscurité, le bruit lui parvenait plus nettement.

Un homme était assis en tailleur avec ce qui ressemblait à un morceau de cuir dans une main et un couteau dans l’autre. De son visage mat et buriné émanait une sagesse creusée dans les sillons de cette figure paisible et concentrée. Plusieurs chutes de cuir étaient posées à ses côtés. Quand il eut finit de découper son morceau de cuir, l’homme regarda Adriano, se leva, et vint vers lui le morceau de cuir à la main. Il apposa le morceau de cuir sur le dos d’Adriano comme pour vérifier qu’il ne s’était pas trompé de mensurations puis retourna s’asseoir, caressa la pièce de cuir, et repris son travail. Désormais, son attention ne quittait pas les bordures des morceaux de cuir assemblés, dans lesquelles il enfonçait alternativement deux grosses aiguilles. Adriano n’arrivait pas à retirer son regard de l’homme absorbé par sa tâche.

Un long moment passa avant que l’homme ne pose à nouveau sa pièce de cuir, l’air satisfait.

« Je crois que cette fois c’est bon » dit-il à l’adresse d’Adriano.

« Passez-le » intima t-il, en tendant au jeune homme ce qui ressemblait à un manteau.

L’objet était lourd, en cuir épais et rigide, grossièrement cousu. Une fois passé, le manteau lui sembla plus léger et étonnamment ajusté. L’habit conférait à son corps la souplesse dont il était habituellement dépourvu.

M.M.

Photographie: Robe en feuilles d’annuaires téléphoniques crée par Jolis Paons, cousues à la main.

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