Cette semaine, nous publions le texte de Françoise Durif, en réponse à l’appel à écriture d’Alain André autour du livre de Georgia Makhlouf « Les Absents » (à retrouver ici).
Mon carnet d’adresses de Françoise DURIF
E
Tu quittais ton travail et tu venais directement à la fac. Ça se voyait à tes cheveux mouillés, coiffés en arrière ; à tes mains fortes, un peu rouges, toujours très propres mais avec encore un peu de plâtre sous les ongles. Tu repartais, sans jamais t’attarder, dès la fin du cours à vingt heures.
Ton visage n’exprimait rien, ni joie, ni fatigue. Tu n’engageais jamais la conversation, mais si on te questionnait, tu répondais toujours avec gentillesse.
Tu travaillais deux fois plus que nous, parce que toi Eddy, tu apprenais, tout comme nous, le dialecte de Pékin, mais tu passais aussi davantage de temps à l’écriture des idéogrammes non simplifiés.
En cours d’année, un jour où le cours avait été annulé à la dernière minute, nous avons bavardé un moment.
Tu m’as parlé de tes chantiers, tu étais maçon, travaillant chaque jour, économisant, jusqu‘en juillet où tu partais pour un mois à Taipeh retrouver ton amie, professeur de français.
Tu avais aussi une formation en cuisine et vous aviez le projet d’ouvrir une pâtisserie française à Taipeh. Tu précisais : « Un endroit où on parlerait français ».
Au bout de nos trois années d’études, nous avons obtenu le diplôme dont nous étions si fiers.
Et nous nous sommes tous perdus de vue.
À Noël dernier, j’ai reçu une carte de Taipeh. Souhaitant simplement une bonne année.
Mais elle n’était pas signée.
J’ai repensé à toi. J’ai retrouvé les coordonnées de quelques camarades du cours de chinois, j’ai repris contact afin de les interroger, mais personne ne savait quoi que ce soit à ton sujet et personne d’autre que moi n’avait reçu de carte.