Cette semaine, nous publions le texte de Claire LE GOFF, en réponse à l’appel à écriture d’Alain André autour du livre de Christine Montalbetti « Love Hotel » (à retrouver ici).
Laque à mémé
de Claire LE GOFF
– Ça pue, la laque à mémé. Mémé, ça pue ta laque !– Allez-vous finir, bougres d’idiots d’ânes, il faut donc bien que j’aille à la messe ! dit-elle en nous jetant sa savate à la tête. Mémé toute la semaine nous jette sa savate à la tête, et le dimanche va à la messe : c’est bien commode. Bien commode aussi, la laque, pour fixer le tout, la mise en plis, en un large mouvement circulaire, être belle pour aller à la messe, voir les copines, toute la ville, le curé bien mis, bien propre sur lui.
La vérité, c’est qu’on l’adore, l’odeur de la laque à mémé. On la suit,mémé, quand elle va à la messe, à la trace, avec son odeur de laque, depuis la maison jusqu’à l’église près de la grande halle.
Long pschitt de laque à mémé, essence et alcool tout mélangés, et ça vous colle comme le chewing-gum, ça vous entête, c’est menthe-réglisse.
Laque à mémé, poudre de lumière, parfum miel-caramel, notes de noisettes cassées sous l’arbre, entre le banc de pierre et le gros caillou gris, pommes-vanille à la sortie du four, pruneaux dans le far, crêpes Suzette, zestes d’orange, fumet de bois sec entre les poules et les lapins, crottin.
Laque à mémé, senteur de soleil en paillettes, qui fait le printemps et les étés que nous passons chez mémé, et c’est un soleil aussi que font les cheveux blonds de la belle dame sur l’emballage, cylindre doré posé sur l’étagère du cabinet de toilette à mémé, où flottent les effluves de rose et de romarin, de champ de blé, le blanc du linge, le frais du frais.