Cette semaine, voici sept textes, dont certains écrits en atelier, répondant à la consigne de Sylvie Néron-Bancel, à partir de « Charlotte », de David Foenkinos. Voici celui de Sophie Leclercq.
Photographies
Jeanne est en avance.
Elle le sait sans même regarder sa montre.
Elle n’aime pas être en retard.
Et puis, elle le verra venir de loin.
Dans ce parc où elle fixe tous ses rendez-vous.
De ce banc d’où elle peut s’enfuir sans être vue.
Elle n’a pas fait d’effort vestimentaire comme pour les autres.
Parce qu’il n’est pas comme les autres.
Parce que Jeanne voudrait qu’il la voit.
Elle effleure la photo dans sa poche.
Elle la connaît par cœur.
Sa démarche est lente, sans entrain.
Une main invisible semble le pousser dans le dos.
Avance !
Jeanne l’a aperçu.
Il est plus vieux que sur la photo, évidemment.
Elle s’affole, se raidit, regrette d’espérer qu’il la reconnaîtra.
Il s’approche sans hâte.
Il sait que c’est elle et rien ne se passe.
Vas-y, lui a dit sa femme, après elle arrêtera de nous harceler.
Tout cela est une erreur se dit-il, depuis le début.
Il continue d’avancer, fataliste. Finissons-en…
Jeanne se lève. Elle est plus grande que lui.
Elle est plus grande que Mathilde aussi.
Jeanne ?
Il lui tend la main.
Elle recule la joue qu’elle lui offre.
Il lui demande si ça va.
Oui.
Il lui demande si Mathilde ça va.
Maman va bien.
Il lui demande quel âge ça lui fait déjà.
Vingt-trois ans.
Il dit ah oui quand même.
Jeanne attend qu’il la reconnaisse.
Il lui tend une photo : Mes trois enfants.
Il ne la reconnaît pas.
Jeanne s’excuse, elle doit partir, elle est en retard.
Sophie Leclercq