Cette semaine, nous avons choisi de vous présenter un texte, parmi ceux reçus en réponse à la proposition d’écriture de Solange de Fréminville à partir du roman de Mathias Enard « Boussole » (Actes-Sud, 2015). Voici le texte de Nicolas Vaissière.
Mon amour
Et me revient l’envie de t’étrangler, t’écraser la glotte pour étouffer ces ronflements qui me répètent ta disparition, là, de l’autre côté du lit, comment peux-tu sombrer en quelques secondes, quand moi c’est en heures que je compte, combien ce soir, une, deux déjà, et je réfrène cette nouvelle envie de tendre le bras pour attraper ma montre, tâtonner sur le monticule de livres à demi lus et y saisir la forme ronde et froide, presque mouillée, ou la mollesse grenée du bracelet, un geste que je saurais faire les yeux fermés à force de l’imaginer, la joie minuscule mais tenace de tomber juste du premier coup, paf, le bout des doigts sur le métal rond, le cuir mou, sans rien toucher d’autre, mais ça me servirait à quoi, les aiguilles n’ont rien de lumineux et une trop maigre lueur perce par les rideaux tirés, lire l’heure je ne le ferais qu’à demi, comme ces livres accumulés, une page sur deux, une aiguille sur deux, me crever les yeux pour déchiffrer quoi, rien, dans le noir de mon corps engourdi, tout en moi qui tourne au ralenti mais pas assez pour sombrer, juste assez pour m’agacer, vouloir savoir si ça fait déjà une heure ou plus, à quoi ça m’avancerait, juste assez pour tourner en rond comme les aiguilles, sans bruit, surtout pas de bruit, ne pas bouger, à peine respirer, car c’est l’objet même de mes insomnies, toi, ton sommeil brutal mais léger, ton sommeil sacré, toi mon amour que j’ai envie d’étrangler mais qu’il ne faut sous aucun prétexte risquer de réveiller.
Nicolas Vaissière