Cette semaine, nous avons reçu beaucoup de réponses à la proposition d’écriture de Solange de Fréminville à partir du roman de Mathias Énard « Boussole » (Actes-Sud, 2015). Voici un des 8 textes sélectionnés: celui de Mathilde Guyard.
J’ai bien fait de ne pas fermer les rideaux, au moins, la valse des phares des voitures sur mon plafond me donne quelque chose à regarder, à scruter, quelque chose sur lequel fixer mon attention, quelque chose pour arrêter mes pensées ; ce soir j’aimerais habiter dans une rue encore plus circulée, dans une rue à double sens, j’aimerais que ces phares ne cessent de se croiser, je pourrais faire une cartographie de ces points de jonction, je pourrais en faire un dessin sur lequel poser mes yeux, voir où ce dessin m’emporterait, peut-être loin du regard de cette fille, plein de terreur mais surtout de haine, loin de ce que j’ai vu et, j’en suis certaine, de ce que je n’aurais pas dû voir, loin de ce que ces deux oiseaux de malheur m’ont demandé de chercher et qui va me faire virer ; je n’aurais pas dû garder leur carte, maintenant je sais qu’elle est là, je peux la sentir à travers les murs de ma chambre, je la sens qui brûle dans mon sac posé dans l’entrée, elle m’appelle et son cri silencieux se mêle aux yeux de cette fille que je ne peux ignorer ; ça y est, je me lève, je n’ai pas senti mon cerveau ordonner à mes membres de se mouvoir mais je suis debout, je n’allume pas la lumière, je traverse mon appartement en quelques enjambées, leur carte est dans ma main gauche, mon téléphone dans la droite, je compose le numéros, cinq sonneries, une voix résonne au bout du fil, j’hésite encore à parler, tant pis, je me jette à l’eau et mets fin à beaucoup plus que cette nuit d’insomnie.
Mathilde Guyard