Cette semaine, nous avons reçu beaucoup de réponses à la proposition d’écriture de Solange de Fréminville à partir du roman de Mathias Énard « Boussole » (Actes-Sud, 2015). Voici un des 8 textes sélectionnés: celui de Agnès Mérat.
Maman– il fait nuit encore est-ce que j’ai bien entendu il est peut-être mouillé pourtant je l’ai changé avant de le coucher est-ce que c’était dans mon rêve je suis tellement bien en boule au chaud attends encore un peu, est-ce que c’est mon tour, peut-être il va s’rendormir pourvu qu’il se rendorme oh pourvu pourvu j’entends plus rien est-ce que c’était dans ma tête j’ai bien entendu maman parfois il dit maman en dormant; j’entends maman je sais plus si c’est lui qui m’appelle si c’est moi qui l’appelle elle, dans mon sommeil, à travers sa petite voix à lui, maman maman maman maaaaamaaan sa petite chanson maaamaaaan rien chut ne bouge pas respire plus écouter attentivement oui il s’est rendormi ou c’était moi dans ma tête maman maman maman maman j’ai trop chaud le radiateur encore allumé ce bruit de moteur comme un groupe électrogène dans la chambre je pourrais tendre le bras pour l’éteindre ah quel soulagement ce bruit bruissant un cauchemar soulagement du silence; écoute concentrée maman maman maman mon inconscient prend sa petite voix à lui pour l’appeler elle; elle ne reviendra pas elle ne reviendra plus, maman tu es là ? tu es là quelque part ? tu es où ? dans la nuit ? dans le vide ? tu es au fond de moi ? tu me manques, cette absence comme des mains froides je n’appellerai plus jamais ne dirai plus ce nom maman, je n’entendrai plus ta voix ne sentirai plus ton odeur jamais jamais jamais plus jamais jamais jamais jamais j’ai gardé des foulards j’ai peur en les respirant que ton odeur s’en aille, je me demande ce qui de mon odeur à moi apaise Simon ; c’est toi qui me réveilles pour m’emmerder? fous-moi la paix, arrête je ne peux plus je ne veux plus t’entendre maman ma maman maman maman maman ma maman je veux dormir oublier plonger éteindre ne rien entendre ne rien de rien de rien de rien.
Agnès Mérat