Vie de chien
Dieu me parle tous les matins entre 8h et 10h. J’ai beau tendre l’oreille, je ne comprends pas ce qu’il me dit. Dieu est un vieux basset fatigué qui marmonne comme il peut de ses mâchoires ankylosées. Et je suis presque sourd, j’en ai peur. Tout aussi bien, il s’appelle Feu ou Bleu. J’entends ce que je veux.
Comment j’ai compris qu’il me parlait, à moi, ce type flapi assis sur toujours le même banc de ce square, pendant sa promenade quotidienne à heure fixe ? Ce sont ses yeux, vagues, mouillés, sous l’accent circonflexe de peau plissée, ses yeux aux paupières qui béent autant que ses bajoues, ses yeux qui louchent et pourtant me dévisagent. Ces yeux qui ne voient que moi. Comme s’ils savaient percer ma croûte de crasse, renifler sous ma carapace le passé de l’homme que je fus, y dénicher une histoire – la mienne.
Plus tard, il y aura les enfants qui jouent, les mères épuisées, un ou deux costumes à la pause déjeuner, quelques congénères humant le territoire en fin de journée. Mais le matin, ce sont les chiens.
Dieu n’est pas le seul à arpenter les lieux pour s’y soulager. Toutes races et tous gabarits s’y croisent, s’y toisent, s’y sentent l’arrière-train. Mais c’est lui qui reste le plus tard. La jeune femme qui le tient en laisse a manifestement du temps à tuer. Elle-même ne me voit pas, feuilletant de sa main libre les pages d’un roman dont la couverture change presque chaque jour. De toutes les créatures se partageant ce bout de square, Dieu seul est perspicace.
Nicolas Vaissière