Vanessa Springora : « Écrire, c’est redevenir sujet de ma propre histoire »

Il y a tout juste un an paraissait le livre de Vanessa Springora « Le Consentement » (éditions Grasset), entraînant une prise de conscience majeure de la société française sur des décennies de tolérance vis-à-vis des abus sexuels sur mineurs en France. Ce récit parait ce mois-ci au livre de Poche.
Du livre « Le Consentement » de Vanessa Springora à « La Famillia Grande » de Camille Kouchner

C’est tout le dispositif du consentement forcé par un adulte que nous révèle Vanessa Springora en nous racontant sa propre histoire avec G.M.; écrivain en vogue au moment des faits et de plus de 30 ans son ainé.

Structuré en 6 parties, ce récit décrit le processus d’emprise d’un homme d’âge mûr sur sa victime en vue de nouer une relation sexuelle avec elle sous couvert de « grand amour ». Elle met ainsi en lumière la stratégie du prédateur et le contexte dans lequel ce consentement a été extorqué alors qu’elle n’avait que 13 ans (et les conséquences de la lourde culpabilité portée par une adolescente qui ignorait à quoi elle consentait). Après des années de reconstruction, elle livre les ressorts de cette culpabilité induite qui empêche les victimes de réaliser la violence qui leur est faite, d’en parler ensuite et donc de se reconstruire.

« Une violence physique laisse un souvenir contre lequel se révolter. C’est atroce, mais solide. L’abus sexuel, au contraire, se présente de façon insidieuse et détournée, sans qu’on en ait clairement conscience. On ne parle d’ailleurs jamais « d’abus sexuel » entre adultes. D’abus de « faiblesse », oui, envers une personne âgée, par exemple, une personne dite vulnérable. La vulnérabilité, c’est précisément, cet infime interstice par lequel des profils psychologiques tes que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. Très souvent, dans les cas d’abus sexuel ou d’abus de faiblesse, on retrouve un même déni de réalité : le refus de se considérer comme une victime. Et en effet, comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître ». (P. 167)

«  Toute l’ambiguïté de se sentir complice de cet amour qu’on a forcément ressenti, de cette attirance qu’on a soi-même suscitée nous lie les mains plus encore que les quelques adeptes qui restent à G. dans le milieu littéraire.

En jetant son dévolu sur des jeunes filles solitaires, vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires, G. savait pertinemment qu’elles ne menaceraient jamais sa réputation et qui dit ne dit mot consent ».

« C’est l’homme que j’aime qui m’a finalement convaincue (d’écrire ce livre). Parce qu’écrire, c’est redevenir sujet de ma propre histoire ; une histoire qui m’avait été confisquée depuis trop longtemps. »

Parfois c’est un individu, une voix, un livre qui font bouger la société. Le livre de Vanessa Springora a déjà eu un retentissement considérable, c’est un des plus lus de l’année 2020; il va être traduit en plus de 17 langues.

La question de l’âge du consentement est un point particulièrement trouble en France et voici ce qu’en disait le 11 février 2020 le journaliste Norimitsu Onishi du New-York Times dans un article consacré au livre de Vanessa Springora :

« Les rapports sexuels avec mineurs âgés de moins de quinze ans étaient et sont toujours illégaux en France. Mais contrairement aux États-Unis ou à d’autres pays dont les lois estiment que les mineurs sont trop immatures pour consentir pleinement à des relations sexuelles, la France ne définit pas d’âge minimum de consentement. Récemment encore, en 2018, le gouvernement a retiré d’un projet de loi un article qui établissait une présomption de non-consentement des mineurs de moins de 15 ans ».

En ce mois de janvier, avec la sortie du livre de Camille Kouchner « La Grande Familia », qui a vu la création du #METOO INCESTE, la question est reposée sur un terrain encore plus sensible, et la parole des victimes se libère à vitesse exponentielle, mettant des mots sur des décennies de honte et de silence.

Aujourd’hui encore 1 enfant sur 5 est victime d’actes pédophiles avant ses 10 ans, 1 sur 10 d’inceste. Dans une société qui valorise la transparence, les victimes ne doivent plus être les seules « à prendre perpétuité ».

Un texte clair, écrit simplement et accessible à tous, notamment à un public adolescent pour leur apprendre à dire non ou à porter secours à quelqu’un de leur entourage. Un livre qui libère son auteur et ceux qui le lisent.

DP