Découvrir la littérature américaine par l’écriture, c’est ce que vous proposent Valérie Mello et Camille Berta dans une « traversée de l’Amérique » répartie sur 4 week-ends. Le prochain voyage aura lieu les 16 et 17 novembre 2024. L’occasion de parcourir les grands mythes américains pour comprendre l’essence du roman contemporain.
L’Inventoire : Qu’est-ce qui pour vous est inspirant dans la littérature américaine ?
Valérie Mello : L’inoxydable « Il était une fois, en Amérique » repris, décliné. Les écrivains ont joué leurs variations sur ce thème pour livrer leur épopée. Réservoir d’histoires, l’Amérique est un sujet et un grand laboratoire d’écriture. Les auteurs s’emparent des histoires pour en éclairer les angles morts, contradictions, mensonges. Ils inventent des formes, des langues. La production est continue. Le travail des écrivains récemment disparus comme Roth, Banks, McCarthy en témoigne.
J’aime l’énergie qui se loge dans l’art de conter, et qui ne s’encombre pas d’hésitations – raconter, témoigner pour comprendre, survivre, exorciser : 11 septembre, Vietnam, Sécession, esclavage, conquête et colonisation… Les écrivains affrontent l’Histoire, ils n’hésitent pas à plonger les mains dans ce cambouis. Il y a une dimension politique aussi qui peut expliquer le succès de ces auteurs en France.
Lire ces textes me permet de renouer avec des mondes, et une ville, New-York où j’ai séjourné plusieurs années. J’entends les yellow cab qui percutent l’asphalte…
Lire ces textes c’est visiter des lieux inconnus, aller voir ce qui se passe à Holcomb ou à Tamassee
« Devenir quelqu’un », un programme bien américain. Emblématique de cette quête, vous évoquerez l’écrivain Richard Ford. Son héros Franck Bascombe, journaliste puis agent immobilier, tente d’exister au cœur du rêve américain. En quoi l’oeuvre de Richard Ford représente-t-elle un pont entre littérature française et américaine ?
Richard Ford est à part. C’est le romancier de l’intime, des vies individuelles, il ne se pose pas en observateur de la société américaine du point de vue macro ou sociologique, il ne cherche ni à l’embrasser, ni à l’analyser, même si des contextes – politiques et autres – agissent en coulisse bien sûr. Ford interroge l’existence, les rêves de chacun. On lit en filigrane dans sa trilogie les figures de l’Amérique que le narrateur Bascombe incarne : ambition, dépassement de soi, chute, recommencement… mais l’histoire est avant tout celle de l’individu qui voit les années passer et continue de se projeter.
« De manière générale, les écrivains creusent ce motif de la réussite, c’est un fil narratif efficace pour produire de la tension »
Pouvez-vous citer un extrait d’Indépendance (ou un week-end) par exemple, qui nous montre ce récit américain en lutte avec le mythe héroïque de l’Amérique, la difficulté de trouver sa voie propre au regard des grands récits de réussite ?
D’autres textes de Richard Ford seront proposés lors de ce week-end, extraits de nouvelles où les personnages éprouvent ces difficultés. Pour le grand récit, on fait un tour chez Paul Auster, entre autres. De manière générale, les écrivains creusent ce motif de la réussite, c’est un fil narratif efficace pour produire de la tension, une ligne de crête sur laquelle les héros évoluent, armés de leurs ambitions, en butte à des obstacles de taille. Le moteur du grand roman est là. Le mythe est son cœur de chauffe.
« Passer du grand récit américain à la non-fiction c’est peut-être revenir aux sources du récit »
« Des uns et des autres » sera dévolu aux écritures brèves et toniques – portraits, chroniques, récits – en compagnie d’écrivains de la narrative non-fiction (Tom Wolfe, David Foster Wallace…), des formes vives et novatrices plus contemporaines (Jason Mott, A. Nicole-Leblanc, Guillermo Rosales).
Comment aller du grand récit américain à la non-fiction ?
On explore ici d’autres approches de l’écriture, avec les néo-journalistes, les chroniqueurs de la vie des gens – ça n’a pas empêché certains d’être aussi des auteurs de fictions, Tom Wolfe par exemple.
Passer du grand récit américain à la non-fiction c’est peut-être revenir aux sources du récit, le prendre par l’autre pôle et laisser de côté les schèmes attendus. C’est laisser le réel se déployer seul, sans l’aliéner ni le contenir avec les instruments de la fiction. C’est une autre façon d’écrire pour rendre ce grain du réel, tenter de saisir l’insaisissable, dire le « vrai ». Ces auteurs cherchent d’autres formes.
J’ai redécouvert Tom Wolfe qui a croqué les sociétés mondaines de Park Avenue avec le mordant qu’on lui connaît … puis Ryan Gattis et Adrian Nicole LeBlanc qui ont donné vie et parole aux invisibles des communautés porto & latino… Gay Talese qui a travaillé auprès des membres de la communauté italienne de NY et L.A. Ses portraits et interviews les ont sorti de l’ombre – pour inspirer plus tard des cinéastes, Scorsese et d’autres, et qui ont façonné d’autres mythes derrière… Ainsi soit-il.
Comment les américains ont-ils trouvé ce chemin ? Et n’ont-ils pas un rapport plus immédiat et aigu au monde, sommés d’aller plus vite et de réussir toujours mieux ?
Une chose frappante : beaucoup d’écrivains ont été, et sont aujourd’hui encore des journalistes. L’enquête, le terrain, sont ancrés aux Etats-Unis. Les auteurs se donnent les moyens d’aller à la source pour éviter le piège du récit peut-être, écrire d’autres histoires, celles des exclus du monde actuel. Il y a un dynamisme formidable chez les écrivains américains.
DP
Après de longs séjours dans plusieurs coins du monde, Valérie Mello a enseigné vingt ans les lettres et le théâtre, et accompagné des lycéens dans leur parcours scolaire et créatif.
Les ateliers se situent au carrefour de ses passions : écrire pour faire écrire, transmettre et accompagner.
Crédits photographiques : DP