Michèle Cléach animera du 30 août au 2 septembre 2022, une résidence d’écriture au domaine des Herbes, près de Trouville-sur-mer : « Ecrire la vie, dans les pas d’Annie Ernaux« . Une expérience passionnante avec une spécialiste du récit de vie.
L’Inventoire : « Dans le calme de la campagne normande, le Domaine des Herbes vous accueille dans ses 3 jolies maisons à colombages sur un parc de 5 hectares » : s’isoler un peu dans un bel endroit, pour prendre le temps d’écrire, qu’est-ce que cela apporte selon vous à celui qui a un projet d’écriture ?
Michèle Cléach : Dans l’atelier d’écriture, on met en place les conditions pour favoriser l’écriture. Quand l’atelier se déroule dans un bel endroit, un bel environnement, que les participant.es sont libéré.es des contingences du quotidien, que chacun.e peut se consacrer quasi exclusivement à l’écriture tout en se « nourrissant » de ce qu’offre l’environnement, j’ai pu constater que c’était très porteur.
Je crois beaucoup au pouvoir des lieux
Je crois beaucoup au pouvoir des lieux, à leur capacité à transmettre à la fois de la sérénité et de l’énergie pour se consacrer à l’écriture, la sienne et celle des autres participant.es.
Pourquoi avoir choisi d’animer une résidence d’écriture autour de l’œuvre d’Annie Ernaux ?
Parce qu’il me semble que c’est, aujourd’hui, une auteure majeure, que son œuvre est écrite à partir de sa propre expérience, et qu’elle a une façon tout à fait singulière et sans concession d’aborder l’autobiographie.
Je ne saurai dire quand j’ai lu Annie Ernaux pour la première fois, mais je sais que j’ai lu ensuite tous ses livres déjà parus et tous les autres au fur et à mesure de leur parution. Je suis autant sensible à son écriture qui se joue des « codes » de la littérature qu’aux thèmes qu’elle aborde dans ses livres : la domination et la fracture sociale, le passage du temps, la mémoire, etc. J’aime aussi sa façon d’utiliser les matériaux que sont les photos, les journaux, les papiers personnels, etc. Et puis, je suis sensible à l’engagement de cette femme, à sa fidélité à son milieu d’origine, – elle a souvent rapporté que son désir d’écrire était aussi un désir de « venger sa race » – à son regard sur le monde dans lequel nous vivons, à sa capacité de révolte intacte, à sa conviction que l’écriture est politique.
C’est un atelier de 15h, on sera donc plus du côté des formes courtes
Quelles thématiques vont être abordées, et quel type de textes les participants vont écrire ?
J’ai, bien sûr, été inspirée pour concevoir cet atelier par Ecrire la vie, le Quarto paru en 2011 chez Gallimard, qui réunit plusieurs de ses œuvres, des textes inédits et un « photo-journal » d’une centaine de pages. Mais quand j’ai proposé cet atelier j’ignorais que sortiraient ce mois-ci son dernier récit, Le jeune homme, ainsi qu’un Cahier de l’Herne qui lui est consacré. Un tout petit livre – 38 pages – et un très « gros » livre avec, comme toujours dans les Cahiers de l’Herne, des textes inédits (entre autres des pages de son journal qui ne sera publié qu’après sa mort) et des textes d’auteur.es pour qui elle a compté dans leur entrée en écriture, et compte encore. Ces deux ouvrages vont sûrement trouver leur place dans l’atelier, d’une façon ou d’une autre.
Mais il ne s’agit pas de faire du copier-coller de l’écriture et des thèmes de prédilection d’Annie Ernaux. S’inspirer de son œuvre, de sa façon d’aborder les sujets, mais en travaillant ses propres thèmes, en cherchant ses propres formes et en travaillant aussi à partir des mêmes matériaux, photos, carnets, etc. que les participant.es apporteront. C’est un atelier de 15h, on sera donc plus du côté des formes courtes, ce qui n’empêchera pas d’aller du côté du récit pour écrire ce qu’est, pour chacun, la vie.
Quel est votre livre préféré de cette auteure et pourquoi ?
Difficile à dire ! Ils ont chacun leur importance, Passion simple, la Place, La honte, Une femme, L’événement, Mémoire de fille, etc. parce qu’ils ont cette particularité d’être centrés sur un seul thème, un seul sujet. Seul Les Années fait figure d’exception – il est d’ailleurs plus « volumineux » que tous les autres. On peut dire, je crois, que c’est un ouvrage majeur, l’incarnation de ce que A. Ernaux appelle l’auto-socio-biographie. L’histoire individuelle inscrite dans l’Histoire, politique, sociale, économique. Et puis, à l’opposé par sa taille, Le jeune homme qui vient de paraître, me semble être un condensé d’une force incroyable de tout ce qu’elle a écrit jusque-là, de tous ses thèmes favoris, de son écriture « comme au couteau ».
Est-ce que vous allez aussi aborder ses réflexions sur l’écriture dans « L’atelier noir », ouvrage récemment paru ?
Bien sûr ! Avec L’atelier noir, on voit le processus d’écriture à l’œuvre, comment les idées des livres naissent, comment le temps joue pour qu’elles arrivent à maturation, au moment où elle trouve la forme qui va être au service de son propos. On y voit par exemple qu’entre le moment où elle a eu l’idée et le désir d’écrire Les Années et sa parution, il s’est passé 20 ans !
Il faut rappeler que L’atelier noir a été publié pour la première fois en 2011 aux Editions du Busclats. L’édition parue en janvier dernier chez Gallimard est une édition augmentée d’une deuxième préface d’Annie Ernaux et des années 2008 à 2015 de son journal d’écriture (jusqu’à l’écriture de Mémoire de fille).
Qu’appelez-vous « l’écriture blanche » ?
Ecriture blanche (terme que l’on doit à Roland Barthes) ou écriture plate, c’est une qualification qu’Annie Ernaux a elle-même employée, une écriture qui « ne prend pas le parti de l’art ». Aujourd’hui, il semble qu’elle préfère utiliser le terme d’écriture neutre. Blanche, plate ou neutre, c’est une façon d’évoquer une écriture sans figures de style, sans métaphores, une écriture qui cherche à se saisir du réel et à le restituer le plus sobrement possible.
Michèle Cléach explore depuis plus d’une vingtaine d’années les sentiers des histoires de vie et des ateliers d’écriture, toujours étonnée de leurs richesses et de leurs effets.
Formatrice-consultante, elle est titulaire du Diplôme Universitaire des Histoires de Vie en Formation, et participe aux travaux de l’ASIHVIF-RBE (Association Internationale des Histoires de Vie en Formation et pour la Recherche Biographique), et du RQPHV (Réseau Québécois pour la pratique des Histoires de Vie).