Jusqu’au 26 mars, Alain André vous propose d’écrire à partir du dernier livre de Pia Petersen « Une fenêtre au hasard » (Actes Sud, 2005). Vous pouvez nous envoyer vos textes à atelierouvert@inventoire.com. Une sélection sera publiée deux semaines plus tard.
Une fenêtre au hasard
Extrait
« Ça fait longtemps maintenant que je m’assieds là, à mon bureau et que j’essaie de décrire la fenêtre d’en face. Trois ans. Trois ans que je recommence la même chose tous les jours, j’essaie de décrire la fenêtre en face et d’écrire quelque chose sur elle, des bricoles poétiques, peut-être, je n’en sais rien et je ne sais pas pourquoi. C’est comme ça, voilà tout. Elle est de l’autre côté de la rue. La fenêtre. La rue est étroite. La fenêtre est proche, juste en face et parfois je me dis qu’il suffirait que je tende la main pour la toucher mais ce n’est pas vrai, elle est de l’autre côté de la rue, elle est trop loin et quand le temps est gris, je ne vois rien à l’intérieur parce qu’elle est trop loin. J’essaie d’écrire quelque chose mais rien ne vient, je n’écris rien. Faut dire qu’il ne se passe rien. J’attends, c’est tout. »
Suggestion
Dans Une fenêtre au hasard, un roman publié par Pia Petersen (Actes-Sud, 2005), une femme solitaire observe quotidiennement une fenêtre vide de l’immeuble d’en face. Pour tromper son isolement, elle s’invente des histoires, caresse l’espoir que quelque chose se passe un jour de l’autre côté de la rue qui est la sienne (la rue des Martyrs, à Paris). Son attente un jour est comblée. Quelqu’un emménage dans l’appartement et devient l’objet de toutes ses attentions, jusqu’au vertige…
Le thème est universel, vous avez lu Les fantômes du chapelier, de Georges Simenon, vu Fenêtre sur cour, de Hitchcock. Et si vous imaginiez un narrateur obsédé, peut-être jusqu’à l’achat de jumelles, comme la narratrice de Pia Petersen, par la vie qui se déroule derrière une fenêtre en vis-à-vis, à quoi ressemblerait-il ? Par quoi ou par qui son attention aurait-elle été attirée, puis totalement fascinée ? Il peut s’agir aussi bien de « vous-même » que d’un enfant regardant à l’intérieur d’une maison de poupée ou d’un sauveteur à l’intérieur d’une maison inondée.
Votre narrateur en tout cas, à un moment, doit voir… quelqu’un d’autre. Et, à un moment ou à un autre, vous devrez changer de point de vue : votre narrateur sera vu par le personnage qu’il observe. À quoi ressemble-t-il (ou elle) ? Quelle est sa posture ? Comment réagit-il en se voyant découvert ou observé à son tour ? Comment le personnage le perçoit-il ?
Envoyez-nous votre « fenêtre », en un feuillet standard au maximum (1 500 signes).
Lecture
J’ai choisi le roman de Pia Petersen parce que son thème fait écho à celui d’un projet auquel Aleph-Écriture et L’Inventaire participent, en partenariat avec l’association européenne des programmes d’écriture (EACWP). Il s’agit, avec ce projet, de créer un recueil numérique de textes autour de la thématique retenue : « Windows on the world » (Fenêtres sur le monde). Et si le vôtre en faisait partie ?
Native du Danemark, Pia Petersen vit entre Paris et Marseille. Elle est l’auteur de huit romans écrits directement en français, parmi lesquels, chez Actes-Sud, Parfois il discutait avec Dieu (2004), Passer le pont (2007), Iouri (2009, Prix marseillais du polar), Une livre de chair (2010, Prix de la Bastide de Villeneuve) et Un écrivain, un vrai (2013).
Une fenêtre au hasard est un roman construit sur fort peu de choses, presque sur rien : le vide, l’attente, le manque. C’est assez pour que naisse l’obsession, puis la passion. À partir d’une mise en scène épurée – une fenêtre de cuisine, donnant sur une autre fenêtre -, le lecteur est rudement renvoyé à sa propre expérience de la solitude. Il plonge dans les pensées intimes de la narratrice qui, elle-même, transforme sa situation solitaire en un huis clos progressivement étouffant, fondé sur l’alternance de ses monologues et de ceux de sa « proie ». On peut reprocher au roman son intrigue d’une grande simplicité, celle d’une nouvelle. Pia Petersen réussit cependant à merveille son interprétation personnelle du thème des « Fenêtres » de Baudelaire. Elle parvient à nous tenir en haleine à partir d’une trame mince, en fluctuant entre fantasme et réalité, altruisme et voyeurisme, toujours aux exquises frontières de l’amour et de la prédation.
A.A.