L’ouvrage d’Éric Vuillard antérieur à son Quatorze juillet est intitulé Tristesse de la terre et sous-titré Une histoire de Buffalo Bill Cody (Actes-Sud, 2014, et « Babel »).
Le lecteur découvre comment on a transformé en « show » le massacre délibéré des derniers malheureux Sioux Lakotas de « Sitting Bull », affamés, crevant de froid, hommes, femmes et enfants mêlés — soyons précis : quatre-vingt-quatre hommes, quarante-quatre femmes et dix-huit enfants —, à Wounded Knee à la fin du mois de décembre 1890. Il a fallu d’abord réécrire l’histoire : faire du massacre une glorieuse « bataille » gagnée par deux régiments de cavalerie dirigés par le général Miles. Il a fallu ensuite monter un spectacle — le « Wild West Show », une authentique « machine à cash », « merchandising » inclus, entièrement dédiée, jusqu’à sa fin, à la haine de l’autre.
« C’est une version du massacre revue et corrigée par Buffalo Bill et John Burke, dans le plus pur esprit américain », nous précise Vuillard. « C’est une version pour nos livres de classe. Une version pour enfants. Dans ce petit bout de théâtre, il n’y a ni la longue marche épuisante des Sioux, fuyant leur réserve, ni les manœuvres des rangers pour les attirer docilement, hordes mourantes, à Wounded Knee. Il n’y a pas non plus le canon Hochkiss, et sa technologie miraculeuse. Il n’y a plus ni tempête de neige, ni fosse commune, si femmes, ni enfants ».
Autour de cette trame décapante, Vuillard rassemble quelques épisodes guère moins noirâtres : la tournée en Lorraine, jusqu’à la mort du Sioux « Feather Man » dans un hôpital de Marseille ; l’achat et l’adoption, après Wounded Knee, de la petite Indienne Zintkala Nuni, rebaptisée « Marguerite Colby » ; la fondation de la sinistre ville de Cody, deuxième ville du Wyoming, un État grand comme la moitié de la France ; le déclin du Wild West Show, jusqu’à la fin misérable du Buffalo Bill Cody, vieux, triste, endetté jusqu’à la moelle.
C’est un livre rapide, approfondi, furieux, laconique, précis. C’est une histoire effroyable. Et moi, ce matin, après l’avoir refermé, je pense au destin de « Sitting Bull », dont le nom anglais est la traduction « approximative et stupide » de Thathanka Yotanka, qui signifie « bison mâle se roulant dans la poussière ». Je pense à « Sitting Bull », vainqueur de Custer à Little Big Horn, acteur pour Buffalo Bill Cody, assassiné à Wounded Knee par les policiers venus l’arrêter « au nom de la loi ». Je me rappelle que j’ai toujours préféré « les Indiens » aux « cow-boys ». Je persiste et signe, tant pis pour la bannière étoilée.
Alain ANDRÉ