Therése Granwald anime cette seconde journée de la formation d’enseignants en creative writing organisée par l’EACWP. Cette romancière suédoise, titulaire d’un master de « creative writing » de l’Université de Lund, enseigne depuis 2005 cette matière aux débutants et aux étudiants de troisième cycle, principalement à l’université de Lund. Elle y a été responsable des études en ce domaine de 2013 à 2017. En 2005 elle publie son premier livre pour enfants, en 2006, son premier roman intitulé « Ty riket är ditt« . Elle écrit également des paroles de chansons. Son second roman sera publié fin 2018.
C’est parce qu’elle a remarqué qu’on s’intéressait peu aux questions fondamentales que sont la construction d’une histoire lorsqu’il s’agit de l’enseigner aux étudiants, qu’elle a choisi ce thème pour sa masterclass (« How to teach story and plot »). Souvent délaissé au profit de sujets comme les personnages, la caractérisation, le point de vue, etc. cette question est pourtant pour certains auteurs un préalable à l’écriture, comme c’est le cas pour l’écriture d’un scénario.
Si certains écrivains ne font pas de plan, ils ont une connaissance pour ainsi dire organique de leur histoire alors que d’autres en organisent chaque chapitre avant de l’écrire. Cependant, même pour ceux qui écrivent de manière « organique » rappelle-t-elle, sa méthode est toujours utile pour constituer des outils d’analyse de la construction, et déterminer par exemple si l’histoire terminée n’est pas sortie de son thème de départ (pour ainsi pouvoir y remédier). Une méthode également utile en cas de « panne d’écriture » ou à la relecture du premier jet. Tous les exercices qu’elle va nous présenter permettront ainsi aux auteurs « organiques » d’analyser leur travail.
Tout le monde sait raconter une histoire
La construction d’une histoire à partir d’un thème semble quasiment innée, puisqu’un enfant est capable de la formuler et de la présenter dans sa totalité.
Therése Granwald débute ainsi sa masterclass en nous montrant un petit livret de 6 pages qu’a réalisé son fils de 5 ans, composé à la manière d’un livre, avec une couverture et des dessins illustrés. Il s’agit de l’histoire très élaborée d’un enfant vivant avec sa mère sur un bateau, qu’une vague géante va mettre en péril. Heureusement pour eux, le petit garçon apercevra une île, où il pourra aller se réfugier en se transformant en singe, emportant sa mère avec lui. Tous deux seront sains et saufs.
Tout en le feuilletant, elle indique que construire un récit structuré est donc naturel…
Therése Granwald expose alors les 6 points qu’on peut retrouver dans une construction dramaturgique, comme dans un scénario.
Construisez un monde, pas un texte, avec des scènes pleines de sensations !
- Concept (idée des circonstances formulée sous la question « what if ? ». Et si ?) ;
- Les personnages (pouvoir s’identifier au personnage principal sans pour autant l’apprécier ou adhérer à ses valeurs ; il doit en tout cas avoir plusieurs facettes) ;
- Le thème : qu’apprend t-on de la vie, de l’humanité, d’autres époques ou d’autres lieux ? ;
- La structure (l’histoire, le récit, le fil conducteur, ou le squelette si l’on parle d’un scénario : la façon dont les informations sont peu à peu distillées au lecteur) ;
- Scène d’exécution (“show don’t tell” – montrez, ne dites pas).
- La voix : le style s’approche de la voix de l’auteur. Chaque personnage doit avoir la sienne, une voix qui émane de l’histoire.
Therése nous propose 5″ arrêts » pour construire une intrigue.
Cette « carte et ce territoire », s’intitule « la catastrophe » car un livre est presque toujours le récit d’une catastrophe. Comment c’est arrivé, comment on s’en est sorti, le chemin du protagoniste du début à la fin de l’histoire (l’histoire devenant le récit de sa transformation).
Exercice : dessiner la carte de son histoire en 5 arrêts du personnage (« 5 stops of the character »)
- Dessiner une carte imaginaire
- Y inscrire 2 personnages
- Inscrire 5 lieux où 5 arrêts où vont s’inscrire ces personnages
- Localiser le « burning point » (le nœud dramatique, ce qui explose ou va exploser)
Puis
- Ajouter une date significative (« Significant date ») sur la carte
1er temps : dessiner votre carte
La carte doit ainsi faire apparaître le trajet de 2 personnages qui vont s’y déplacer d’un point 1 au point 5 (les 5 arrêts des personnages vont déterminer l’arc narratif de l’histoire).
Blue, Blue, Blue
2ème temps: l’incipit
Afin d’écrire une histoire à partir de cette base, Therésa nous donne l’incipit : « Ils sont bleu bleu bleu ». Nous avons 10 minutes.
Dans la seconde partie d’écriture, un nouveau personnage doit être introduit, et nous devons ajouter une chanson ou une musique au moment de son arrivée, ainsi qu’une surprise. Ce nouveau personnage déclare : « I didn’t expect to see you here » (je ne m’attendais pas à te voir ici).
Temps d’écriture.
3ème temps : le climax ou la scène de la catastrophe.
Il nous faut choisir un détail sur la carte, penser à une odeur très déplaisante et le troisième personnage dit alors « don’t ever say this to anyone » (ne dis jamais ça à personne).
Temps d’écriture.
4ème temps : la lettre
Nous devons maintenant écrire un message sous forme d’une lettre ou d’un journal, en utilisant la date choisie au départ.
Temps d’écriture.
5ème temps: poursuivre et finir en revenant au début
Au moins un des personnages du début doit se retrouver dans cette scène, et il nous faut introduire un élément tactile, quelque chose lié au corps. Nous retrouvons l’incipit à intégrer : « bleu bleu bleu ».
Voici le timing de cet exercice: 7’ 7’ 4’ 4’.
L’intérêt de cet exercice
Il s’est révélé extrêmement efficace pour tracer l’arc dramatique. Imprégnée du story telling à l’anglo-saxonne, cette technique peut réellement aider à construire l’essentiel de l’histoire, pour la nourrir ensuite d’une voix, d’un point de vue. Restera à en trouver le style, c’est pourquoi Therésa poursuit en détaillant les autres points clés (qui feront l’objet d’un prochain article. i.e. La « check list »).
Comment utiliser maintenant cet exercice avant de le faire vous-mêmes et de le transmettre à vos élèves ?
Prenez un livre d’Alice Munro par exemple, et déterminez dans sa nouvelle les 5 points (au climax correspond dans la nouvelle souvent les « pensées personnelles »). Constatez ensuite que chaque personnage y a sa voix propre. C’est la voix de l’écrivain, celle qui vient de l’histoire racontée par ses personnages…
La check-list
Après avoir écrit une histoire, il est toujours bon de se poser des questions sur son texte, à la manière d’une check-list, par exemple :
« Qu’est-ce qui constitue votre mine d’or ?» (where is your gold ?)
“ Si une question démarre une scène, une nouvelle question ne doit-elle pas apparaître à la fin de la scène ?”
« Quelle émotion provoque la scène ? »
Et se rappeler que:
“Le roman est la réponse à la question”
Enfin, un dernier conseil: laissez votre manuscrit “al dente”, ne pas le “sur-travailler”
Françoise Khoury et Danièle Pétrès