« Terre de Sienne » Agnès Myara, « Tendre ogresse » Candice Ruillier

Il y a un mois, nous vous avons proposé de raconter un personnage par le biais d’un vêtement qu’il porte, ou qu’il a porté : cette proposition vous a inspiré des textes très charnels, qui donnent corps aux caractères et vie aux silhouettes. Voici les textes de Candice Ruillier et Agnès Myara.

Candice Ruillier

Tendre ogresse

 

Petite, toi qui es leste et agile, va donc me chercher mon châle.

Je pars calmement pour ne pas me faire reprendre, puis, à l’abri des regards, cours et glisse dans le couloir pour atteindre le petit bureau de ma grand-mère.

Je m’arrête net à la porte. Impossible d’entrer dans cette pièce sacrée autrement que sur la pointe des pieds.

Que ma grand-mère n’y soit pas et qu’elle m’ait elle-même demandé d’y aller, rien n’y fait. C’est son territoire et je m’y sens intruse.

J’en ferais presque demi-tour quand j’aperçois le châle noir posé sur son fauteuil. Cette ombre inquiétante est l’artifice absolu de ma grand-mère, que j’imagine moitié sorcière du haut de mes huit ans.

C’est encore en apnée que j’attrape le châle, les bras tendus pour le tenir à distance.

C’est sa douceur qui me surprend en premier. Sa légèreté ensuite. Sans m’en rendre compte je le porte à mon visage, il invite aux caresses. Oui, il doit être magique lui aussi.

J’ose alors l’impensable et me love dedans. Il m’enveloppe la nuque, les épaules, les bras, comme un tendre cocon.

C’est donc cela ? Loin de l’armure sinistre que j’imaginais, le châle de mamie est un immense doudou qui la protège et la console. Mais de quoi ?

Je reprends mes esprits et rapporte le châle, soigneusement plié sur mon bras. Quand ma grand-mère l’enfile, je reste un peu auprès d’elle, pour la première fois. Elle en est surprise, mais dans son regard, aussi noir que son châle, je sais maintenant déceler la tendresse.


Agnès Myara

 Terre de Sienne

 

Simple ballet de lanières de cuir qui s’entrelacent, semelles basiques, on se demande même comment elle marche sans un talon plus marqué. Sans doute lui faut-il rester le plus proche du sol, bien enracinée dans les choses terrestres. Les anciennes utilisaient des alpargates, encore plus rudimentaires et surtout beaucoup plus silencieuses.

Sa robe descend en dessous des chevilles, sobre, couleur terre-de-Sienne brûlée. Tissu de facture robuste ; il y a longtemps, c’était de la bure, mais aujourd’hui la bure est devenue un luxe, bien éloigné du sens de sa vie. Coupe simple et droite de la robe, légèrement évasée. Manches longues amples, en cas de grand froid, on peut y glisser des manchettes de laine. L’encolure ronde épouse la base du cou, elle y dépose un petit col blanc, sorte de pièce carrée qui l’entoure et se ferme dans le dos par une pression.

Au-dessus de la robe et du col, chaque matin, elle revêt une longue pièce rectangulaire du même tissu que la robe et qui repose délicatement sur ses épaules, le scapulaire. Il est signe de protection divine dans son choix de vie.

Les jours de grande fête, par-dessus ces vêtements sobres et marrons, elle porte une immense cape d’une blancheur immaculée dans laquelle elle s’enveloppe. Innocence transfigurée.

Enfin, sur sa tête, elle pose un voile blanc, signe de son engagement provisoire et de son cheminement de jeune novice. Ses sœurs carmélites plus âgées portent le voile noir, signe de leurs vœux définitifs.

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