Sur une proposition d’écriture de Sylvette Labat à partir du roman de Pierric Bailly « La Foudre » (P.O.L, 2023), ce texte figure parmi les huit sélectionnés.

Mo’

Tempêtes

Dès que je la vis je la désirai. La coquille que je tenais entre les doigts fit toc dans mon assiette.

C’était un midi pluvieux de novembre. J’étais, tranquille, en pleine dégustation d’huîtres dans un bistrot breton quand elle m’apparut dans la lumière grise, se déhanchant longue et fine entre les tables étroites et les odeurs saturées des cabans mouillés.

Le coeur battant je la regardais s’asseoir. Une glace sur le mur me renvoyait son visage lisse de mannequin. Elle releva la tête, son regard sombre et navré s’encastra dans le mien et ceci s’imposa à moi comme une évidence : elle se force à sourire, elle fait bonne figure, elle sauve les apparences.

Je me sentis à la fois très près d’elle et hors de portée. Je n’osai plus relever les yeux. Souvent je m’étais retourné sur ce genre de femme fatale qui attirait les hommes en passant dans la rue, encore plus gravure de mode que sur les catalogues. Sa tenue me donnait l’impression de vivre dans un monde où les tempêtes sont impossibles. Et pourtant je sentais confusément qu’une histoire commençait.

Dans ce face à face dans le miroir je vis le visage crispé d’un homme apparaître. Elle, tendue de tout son être comme si tout autour d’elle devenait silencieux. Petit ami ? Amant sans doute. Bien sûr que oui.

Elle ôta le diamant qui brillait à son doigt, le déposa devant l’homme qui recula, enfila son manteau et sortit. Je me jetai dans son sillage, rattrapai la porte derrière elle et entrai dans la tourmente.