Sandrine Mehrez Kukurudz, professionnelle de l’événementiel et auteure, a créé la Rencontre des auteurs francophones aux États-Unis. Sa plateforme propose des événements, une émission mensuelle, un café littéraire, une boutique en ligne, et via son blog, un espace de liberté pour les nombreux auteurs qu’il rassemble ! Une passion : partager celle de la langue française, et une nature : la générosité. Rencontre.
L’Inventoire : Comment vous est venu l’idée de créer une plateforme d’auteurs ?
Sandrine Mehrez Kukurudz : Je suis partie de France en 2006 pour la Floride où j’ai vécu sept ans, et vis à présent à New-York. Organisatrice d’événements, j’ai commencé à mes heures perdues à écrire, une envie qui remontait à l’enfance… C’est ainsi qu’est né mon premier roman « La valise noire à nœuds rose », dont j’ai envoyé le manuscrit à deux ou trois maisons d’édition, mais tout semblait lent et compliqué, et comme mon métier est le marketing, j’ai préféré m’autoéditer.
C’est ce qui m’a amenée à rencontrer des auteurs. Ceux qui étaient à New-York me disaient qu’ils n’avaient pas de visibilité ici, ceux qui étaient en France, qu’ils étaient complètement invisibles aux Etats-Unis. J’ai alors eu l’idée de concilier mon expertise et mon amour du livre en créant la Rencontre des auteurs francophones il y a 18 mois. J’avais monté quatre dates (Washington, Miami, et deux à New-York), et puis la Covid est arrivée et tout a fermé. Comme j’avais prévu ces événements avec une vingtaine d’auteurs, j’ai eu l’idée de lancer un Facebook et une plateforme digitale pour faire vivre ce projet.
Comment avez-vous débuté votre plateforme ?
Au début j’ai commencé avec 5 ou 6 auteurs que j’appréciais, mais dès qu’on a commencé à communiquer j’ai reçu des demandes pour participer aux événements que j’organisais (comme le National Arts Club de New York). Après deux ans d’existence, la plateforme réunit aujourd’hui 230 auteurs de 31 pays.
Les auteurs sont sélectionnés sur trois critères : l’écriture, le récit, et parfois aussi sur la défense de quelque chose
Comment choisissez-vous les auteurs ?
Ils passent par un comité de lecture (un aux États-Unis, et un en France) et sont sélectionnés sur trois critères : la belle écriture, le récit, et parfois aussi sur la défense de quelque chose (une cause un projet, etc.) ; je travaille aussi avec les maisons d’édition sur leur catalogue parce que je sais ce qui va plus séduire le lectorat américain. Parfois, cela se passe aussi par des rencontres… Là je viens d’intégrer l’ancien chef des cuisines du Ritz, parce qu’on a bien échangé. Si l’envie est là, on y va !
Ces auteurs s’engagent à être présents sur la plateforme « Rencontre des auteurs francophones », et à défendre la promotion du livre aux Etats-Unis. J’ai des auteurs auto-édités, mais aujourd’hui la plupart ne le sont pas. Tous ceux qui sont présents aux événements sont des auteurs de la plateforme.
Comment vous faites-vous connaitre, car ce n’est pas évident à New-York où il y a une effervescence culturelle, et où les français ne sont pas très présents ?
Je me suis fait connaître par des articles dans la presse, avec de très beaux articles dans quasiment tous les quotidiens de langue française aux Etats-Unis. Ces rencontres francophones c’est un réseau de cœur. C’est ça qui est chouette !
J’ai la chance d’avoir un important réseau de journalistes et plusieurs milliers de membres et contacts en tant que professionnelle de l’événementiel. En ce qui concerne La rencontre des auteurs francophones, sur les réseaux sociaux, plus de 5,000 personnes suivent la plateforme. J’ai aussi le soutien d’une grande majorité d’institutions francophones à New York, Washington ou Miami.
Il y a donc la boutique en ligne, les interviews avec les auteurs et un cercle de lecteurs ?
J’ai lancé un café littéraire parce que j’animais auparavant un book club francophone, et que pas mal de gens voulaient y participer. Une formule plus spontanée où chacun présente ses coups de cœur du mois et fait connaissance avec des livres. J’aime l’idée du café littéraire où les gens viennent s’ils en ont envie, comme une discussion entre copains dans un salon. Il y a des auteurs, des lecteurs. Il se passe des trucs incroyables car comme c’est mondial, la dernière fois j’ai eu une auteure en Nouvelle Calédonie et une lectrice à New-York qui connaissaient la même personne, récemment disparue. Une émotion incroyable est passée autour de ce monsieur.
J’aime l’idée du café littéraire où les gens viennent s’ils en ont envie, comme une discussion entre copains dans un salon.
Et les interviews en direct ?
J’en fais régulièrement. Au début avec un seul auteur, et maintenant avec deux sur un même thème, car j’aime bien cette dynamique. Cet entretien est en direct, mais on peut aussi le regarder sur YouTube, une fois la vidéo montée.
À la différence d’autres plateformes qui proposent l’édition et la promotion (et qui ne font en réalité que de l’édition) vous faites vraiment vivre une communauté d’auteurs et de lecteurs.
Oui, les auteurs sont invités à m’envoyer des articles, de manière libre, que je diffuse sur mon blog via les newsletters. Mais je fais tout : le blog, les réseaux sociaux, les rencontres et le site, les mises en vente. C’est sans fin ! Mais c’est du bonheur, en dehors du travail avec mes clients dont je fais la communication.
Vous avez une approche très différente de la vision française pour faire connaître les auteurs dont les livres sont en vente sur votre site. En France chaque auteur est dans son couloir. Il attend d’être édité ou s’auto-édite. Il n’y a pas à ma connaissance de plateforme équivalente qui propose le concept « on va se regrouper et on va marcher ensemble» ?
Aujourd’hui personne ne propose ce que je fais sur la plateforme. Mais je ne gagne pas d’argent, j’en perds. Quand vous faites les choses avec le cœur c’est comme ça, mais quand j’ai un petit mot d’un auteur le matin je me dis que j’ai gagné ma journée !
Les auteurs sont invités à m’envoyer des articles, de manière libre, que je relaie via mon blog
Vous avez publié votre livre et avez réussi à le commercialiser par vous-même. Quels choix avez-vous fait pour arriver à pouvoir le promouvoir ?
J’ai vendu 3500 exemplaires du premier; 2000 du deuxième (j’avais placé la barre bien en dessous). Je suis passé d’un Facebook perso à un Facebook pro avec 5000 amis, et ai commencé à poster sur les réseaux. Au début j’ai compté sur le réseau proche, jusqu’au moment où celui-ci a donné naissance à autre chose.
J’ai été invitée dans beaucoup d’associations newyorkaises où j’ai fait des rencontres, des dédicaces. Et puis un jour, mon voisin de bureau, un portoricain américain francophone m’a dit « viens, je prends une photo avec ton livre », je l’ai repostée, et ça a entrainé un truc complètement fou. Mes amis m’ont envoyé des photos « je suis à la plage avec ton livre », et j’ai reçu une centaine de photos d’un peu partout dans le monde ! Il faut défendre son livre, et parfois la magie opère…
Quand vous l’avez publié vous l’avez réalisé grâce à amazon ou avec un imprimeur ?
Je l’ai fait sur amazon directement. J’ai commencé à avoir des devis un peu délirants, puis une de mes amies a sorti un livre sur cette plateforme. J’ai alors vu la simplicité de la démarche et me suis dit soit j’ai la chance d’atterrir au bon moment dans une belle maison (là c’est l’égo qui parle), soit j’y vais toute seule, l’égo attendra. Je suis allée sur amazon et j’ai eu la chance d’être soutenue.
Je veux faire descendre la langue française dans la rue. Il y a plein d’amoureux de la langue française, plein de francophiles.
On est peut-être dans un tournant où l’auto-édition va prendre de l’ampleur ?
Quand vous voyez ce qui se passe. Dickers monte sa propre maison, Mbappé aussi. Il y a des gens qui ont un vrai potentiel de vendre beaucoup. Je pense que les maisons d’édition ne se sont pas renouvelées, qu’elles sont en retard sur plein de choses et que ce qu’elles offrent aux auteurs n’est plus satisfaisant.
L’édition en France est assez élitiste, peut-être moins aux États-Unis ?
En vérité ici aussi, c’est pourquoi j’ai monté la plateforme. La littérature francophone est peu présente aux États-Unis, où le réseau de libraires est beaucoup plus réduit. Pour la faire connaître, il fallait inventer autre chose. Je veux faire descendre la langue française dans la rue. Beaucoup de gens sont venus aux Rencontres francophones de Miami (à Noël), il y a plein d’amoureux de la langue française, plein de francophiles… je travaille à faire grandir le projet avec des partenaires français comme américains. Il y a tant des choses à faire !
Je n’offre que des livres et j’encourage les gens à le faire parce qu’un livre dans une bibliothèque c’est magique.
Une dernière question, qu’avez-vous offert à vos proches pour Noël et que peux-t-on vous souhaiter pour la nouvelle année ?
Je trouve que depuis la Covid, on n’est plus dans les biens matériels, d’ailleurs j’ai très peu fait de cadeaux récemment, je veux qu’on se retrouve et qu’on partage des moments, je veux de l’amitié, de l’amour. Il y a une chose que je fais systématiquement depuis 18 mois : j’offre des livres. Je n’amène plus de bouteille de vin ni de fleurs quand je suis invitée, et qu’on ne me dise pas que « untel ne lit pas, untel fait peut-être la cuisine ? « , il a peut-être des enfants, il y a toujours un livre pour quelqu’un ! Je n’offre que des livres et j’encourage les gens à le faire parce qu’un livre dans une bibliothèque c’est magique. Je souhaite qu’on fasse travailler les libraires, les maisons d’édition, qu’on fasse travailler les auteurs !
Les livres de Sandrine MEHREZ KUKURUDZ :