« Rouge et bleu », Jean-Pierre Milliet

Sur une proposition d’écriture de Sylvette Labat à partir du roman de Pierric Bailly « La Foudre » (P.O.L, 2023)/

Jean-Pierre Milliet

Rouge et bleu

Au moment où le véhicule a franchi le portail, j’ai tourné les yeux vers le conducteur et je me suis vu, cinq ans plus tôt, les mains crispées sur le volant, attentif aux paroles de celui qui était assis à ma droite.

À ma droite, c’était Karim. Pas eu le temps de faire connaissance. Aussitôt arrivé, sirène, descente par la barre, ma première ! « Samuel, tu prends le volant ». Le téléphone dans une main, des papiers dans l‘autre. Il est concentré, calme. Mais ses sourcils sont froncés…

On roule vite. On ne sait jamais ce qu’on va trouver.

Sur place, les gyrophares exacerbent une tension déjà épaisse.

Je l’observe. Son regard bleu balaie les alentours. Il avance vers le cœur de la scène. On vient vers lui, on le sollicite, on lui parle. Il écoute. Il ne ralentit pas. Il hoche la tête.

Je le trouve tranquille quand je m’affolerais. Je le trouve serein quand je paniquerais.

Et puis il met la machine en route. Il donne des ordres, clairs, simples, précis. L’équipe se met en action.

Il me retient par le bras. « Attends ».

Je le regarde comme un enfant regarde son père. Je sens qu’il me protège de quelque chose que je ne comprends pas encore bien.

« Suis moi ». Je le suis.

Pas un mot plus haut que l’autre, pas une parole inutile. Il est comme un phare. Au milieu de cette terrible effervescence, il rassure.

Et chacun fait ce qu’il doit faire.

Je me laisse pénétrer par sa présence.

À présent, je suis à sa place, sur le siège de droite.

Et je sais pourquoi je suis là.

J-P. M.