Mark Rothko a été peintre figuratif pendant 20 ans avant de trouver son expression la plus poétique dans de larges formats explorant les formes et les couleurs que nous connaissons. C’est l’histoire de ce parcours de la figuration à l’abstraction et l’émotion qui est exposée chronologiquement dans les salles de la fondation Louis Vuitton, jusqu’au 2 avril 2024.
À travers cette première rétrospective du peintre américain, en France, 115 toiles sont réunies. L’impression théâtrale qui se dégage des très grands formats de Mark Rothko réalisés à partir de 1946 est renforcée par l’accrochage, près du sol, selon la volonté de l’artiste. Celui-ci réfutait le qualificatif d’abstraction pour définir ses oeuvres. Lors d’un entretien radiophonique avec le peintre A. Gottlieb en 1943*, il parlait déjà de sa conception de la peinture :
« Aujourd’hui, l’artiste n’est plus gêné par la limitation que toute l’expérience de l’homme soit exprimée par son aspect extérieur. Libéré de la nécessité de décrire une personne en particulier, les possibilités sont infinies. Toute l’expérience de l’homme devient son modèle, et en ce sens on peut dire que toute l’œuvre est le portrait d’une idée ». (Écrits sur l’art, Flammarion, 1943-1969).
Dans une tonalité assourdie, l’éclairage invite à une sorte de méditation pour mieux discerner les couleurs. On peut s’en approcher très près, leur matière est indéfinissable, le trait du pinceau ou de la brosse souvent invisible derrière les superpositions faisant émerger une matière crayeuse. Et c’est aussi la force d’attraction de ces figures qui ne sont définies que par leur volume, laissant la couleur émettre cette vibration qui nous atteint.
Ainsi, il est difficile de photographier les toiles de Mark Rothko. L’œuvre photographiée est floue, ce que nous ne discernons pas quand nous la regardons. Au fil des salles, nous nous enfonçons dans le noir, jusqu’à la crépusculaire série Black on grey.
Les toiles de Mark Rothko nous confrontent au silence de la représentation, elles ne s’appréhendent que dans un face à face qu’aucune image numérique n’est capable de restituer. Comme si la matière émettait encore les vibrations de sa lumière intérieure. Une rétrospective rare et un voyage dans la couleur de nos vies, des plus joyeuses aux plus sombres. Jusqu’au 4 avril 2024.
Danièle Pétrès
* Mark Rothko « Ecrits sur l’art », Champs arts, Flammarion (propos de 1943, page 79).
Extrait :
Lors d’une émission radiophonique de WYNC où ils exprimaient leurs convictions esthétiques sur l’art du portrait, le peintre A. Gottlieb posait cette question à Mark Rothko : « Est-ce que ces tableaux (des représentations issues de la mythologie), ne sont pas en réalité des peintures avec des titres littéraires ?
« Ni vos peintures ni les miennes ne devraient être considérées comme des peintures abstraites. Leur intention n’est pas davantage de créer ou de mettre en avant une disposition couleur-espace formelle. Elles ne s’écartent d’une représentation naturelle que pour intensifier l’expression du sujet sous-entendu dans le titre – pas pour l’effacer ou le diluer (Mark Rothko et Adolph Gottlieb, interview à propos du tapuscrit : « Le portrait et l’artiste moderne »).
Pour poursuivre ces conversations avec l’art une fois par mois : « Écrire l’art ou mon musée idéal » avec Françoise Khoury. Prochaine atelier le 28 Avril 2024 à découvrir ici.