Aux soirées cinéma, concert et danse s’ajoute une autre opportunité de divertissement : le storytelling. À Amsterdam, cette pratique se démarque au travers de nombreuses scènes et celle du café Mezrab en est peut être la plus emblématique.
Nous sommes dans Amsterdam Est, au bord de l’IJhaven. En front de rivière, trois tables de pique-nique sont installées devant le perron, les premiers arrivés profitent du soleil d’avril avant que la soirée ne débute. À l’intérieur, des chaises disposées en cercle, au centre, une table basse, des tapis d’Orient, quelques coussins, une grand-mère qui sert la Grandma’s soup et un long comptoir de bar. C’est mercredi et le Mezrab s’apprête à ouvrir l’une de ses désormais réputées Soirées Storytelling.
Le Mezrab a été créé par Sahand Sahebdivani, un personnage connu des habitués qui a débuté son aventure de conteur hors pair en introduisant dans le salon familial des étrangers intrigués par les histoires de son père. Rapidement, la maison de la famille Sahebdivani n’a plus suffi à contenir ce petit monde de curieux. En 2003, Sahand loue un local dans le quartier de Jordan, puis un plus grand en 2015, à Pakhuis Wilhelmina, le lieu actuel de la maison.
L’histoire de ce lieu est représentative de l’esprit qui règne encore à chaque soirée : échanger, partager, rassembler. C’est sans fioritures, honnête, presque philanthropique.
Concrètement, cela s’organise ainsi : deux fois par semaine, habitués et nouveaux venus se massent dans ce bar peu ordinaire pour prendre part à l’expérience. Assis parmi l’assemblée, les storytelleurs sont des spectateurs comme les autres, leur tour venant, ils se lèvent et, debout, les mains animées, racontent leurs histoires (en anglais). La soirée est intimiste et la discussion avec vos voisins facile dès le premier interlude. Le vendredi a une dimension plus spectacle. La salle est occupée entièrement et la scène a ses limites : un cadre formel avec projecteurs. Mais toujours demeure cette proximité entre les gens, vivement stimulée par les organisateurs.
Qu’il soit professionnel ou débutant, chaque storyteller régale d’une histoire où suspens et rire se combinent pour mieux accrocher l’auditoire.
Car si l’ambiance est extrêmement bon enfant et jamais compétitive, prendre la parole demeure un challenge dans lequel l’art de raconter est vécu avec plus ou moins de succès. Mais le public est toujours bienveillant. À une jeune femme trop intimidée pour aller jusqu’au bout de son histoire, l’audience a répondu en chaleureux encouragements et applaudissements.
Savoir raconter s’apprend. C’est pourquoi le Mezrab s’est également doté d’une école : le Mezrab Storytelling School. Développer sa personnalité de conteur est au cœur de l’apprentissage. Expériences personnelles et sujets universels doivent se télescoper pour donner lieu à un récit captivant.
On chahute son histoire intime pour la rendre attractive, on apprend à engager son auditoire autant que possible. L’exercice est difficile. On n’écoute pas comme on lit, l’implication du destinataire est différente.
Pourtant, le face à face avec l’auteur peut aussi s’avérer être à l’avantage de celui-ci. Nous sommes tellement habitués à l’anonymat des écrans que la confrontation physique est déjà une première victoire pour le storytelleur.
Ici donc, le storytelling ne rime pas avec l’art de rôder un récit marketing mais bien avec l’expérience sensitive. En 3 sets, la tradition des conteurs d’autrefois est remise au goût du jour, même idée de transmission seulement, puisque cette fois l’audience retiendra peut être davantage le moment lui-même, que la morale d’un conte.
Se réunir pour se laisser bercer d’histoires durant 3 heures, loin des portables, immergés dans une petite assemblée qui vibre à l’unisson est une expérience désormais rare et donc précieuse. Si précieuse qu’elle se transforme petit à petit en un rendez-vous addictif pour les chanceux Amstellodamois.
Julia Garel
Mezrab: Veemkade 576 – 1019BL Amsterdam