Qu’est-ce que l’écriture du réel ? Les précurseurs, selon Alain André

Dans un cours sur le personnage, donné à l’occasion du Teacher’s Training de l’EACWP en 2012, Alain André interrogeait un courant contemporain de la littérature, qui vise à construire une fiction à partir du réel. A l’occasion de la VIIème Conférence Pédagogique internationale de l’EACWP, qui rassemblera enseignants-chercheurs, romanciers et animateurs d’ateliers d’écriture du 15 au 17 mai 2025 à Paris, nous revenons sur sa vision de l’écriture du réel. 

« Ce qui est impossible c’est simplement le réel » (Jacques Lacan).

Avec une telle entrée en matière, Alain André (fondateur d’Aleph-Ecriture) souhaitait souligner, lors de son atelier littéraire, le fait qu’il existe un réel différent pour chacun et qu’il est impossible de l’épuiser.

Pourtant, cette formulation, très courante en France « d’écrire à partir du réel » a une origine bien précise. Cette écriture strictement « du réel » a été inaugurée par François Bon et Leslie Kaplan lorsqu’ils ont publié dans les années 80 respectivement « Sortie d’usine » et « L’Excès-l’usine, 1982 ». Leslie Kaplan a activement participé aux mouvements de mai 68 du côté des ouvriers (à l’usine), nombre de ses textes ont été adaptés au théâtre par la suite.

Chaque écrivain peut aujourd’hui démarrer une histoire en partant d’un matériau extérieur, pris dans le monde réel: un fait divers, une œuvre picturale, des histoires vraies ou des faits relatés, une entreprise, un mouvement social ou politique dont on ferait partie, ou pas.

Plus proche de nous, Nathalie Kuperman a été une des premières à prendre pour sujet le monde du travail et ses plans de licenciements systématiques pour faire monter les marges brutes des entreprises. Dans son roman, « Nous étions des êtres vivants » (Gallimard, 2010), à mi-chemin entre réel et fiction, se succèdent les points de vue des protagonistes, les réunions syndicales, les plans de reclassement et les drames personnels de manière égale.

Au plus près d’un réel moins politique et social, se situent d’autres écrivains comme Régis Jauffret « Fragment de la vie des gens » (Éditions Verticales, 2000). Les 56 histoires qui composent ce récit sont ici définies par l’auteur: « On peut écrire un roman d’une page ou de trois mille. J’ai écrit la cinquantaine de  « romans » qui composent Fragments de la vie des gens à la suite l’un de l’autre, pendant deux ans, sans la moindre interruption dans le temps ».

Citons encore le roman Inspiré de la vie du peintre Paula M. Becker « Être ici est une splendeur » de Marie Darrieussecq ou encore « 14 Juillet » de Eric Vuillard, revisitant la nuit du 14 juillet 1789. Dans une veine dramatique, Laëtizia de Yvan Jablonca (« Laëtitia ou la Fin des homme »s est une enquête ou « roman vrai », paru en 2016 aux éditions du Seuil), dont la lecture pose à certains la question « quelle proportion de réalité sommes-nous capables de supporter ? », devant le crime sur lequel l’historien revient en le décrivant au plus près (on pourrait d’ailleurs citer à ce titre « California Girls » de Simon Liberati, Grasset, 2016).

Les histoires vraies sont aujourd’hui dans l’air du temps, peut-être en réaction avec la réalité virtuelle qui s’insinue dans tous les aspects de notre vie (surveillance à distance, automation des équipements, casques de réalité virtuelles, intelligence artificielle, etc.) ! A moins que les histoires vraies ne nous assurent un socle commun, issues de l’histoire de nos civilisations, et qu’elles fassent « société », là où les tentatives de réécrire l’histoire pour l’utiliser à des fins politiques, tentent de la diviser.

DP

Retrouvez ici l’exercice proposé par Alain André pour écrire une histoire à partir du réel ici

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