La disparition de ceux qu’on aime, les vies qu’on aurait aimé avoir, celle que l’on construit (et qui nous construit); mais encore celles, rêvées, des autres… Sophie Calle nous surprend souvent, nous fait sourire, songer, et parfois nous agace. Mais son œuvre est éminemment poétique.
« Que faites-vous de vos morts ? Dans votre agenda vous écrivez « mort » à côté du nom ? Vous raturez ? Vous ne faites rien ? Vous effacez un ami mais vous n’effacez pas votre mère ? »
C’est sur le thème du deuil que s’ouvre l’exposition que le Musée de la chasse consacre à la plasticienne Sophie Calle. Le deuil de sa mère, de son père. Textes courts, photos de tombes, regard de son père (son premier spectateur) reproduit et conservé pour toujours, visage de femme en plâtre sur les joues duquel roulent indéfiniment de vraies larmes, animaux empaillés qui ont pris le nom (et conservé l’âme ?) des proches évaporés à jamais… Le fil conducteur est celui du temps qui file, inexorablement, vers la mort ; des amours passées ; mais encore de la contingence de la vie : les chemins qu’on aurait pu prendre et qu’on a laissés de côté. D’où ces existences que la créatrice s’invente, en invitant par exemple ses amis à poser sur les marches d’une église pour son faux mariage, en « vraie robe de mariée », puis à fêter l’événement comme pour de vrai.
L’humour, la « folie » de l’artiste nous fait sourire, que ce soit à travers ce renard sagement enroulé sur lui-même sur un fauteuil Empire, ou le journal de filature qu’elle a tenu une dizaine de jours en suivant un inconnu de Paris à Venise. Son sens de la poésie nous touche, son sens de la poésie nous touche, comme sur cette photo de platane dont le tronc a littéralement avalé une grille, ou dans sa façon de nous laisser « inventer » l’ours blanc du musée caché sous un drap.
Son humour, lorsqu’il est grinçant, fait aussi « coup double » : les sourires se figent devant cette petite cage où un couple d’oiseaux en habits, assis l’un près de l’autre, saisis sous la lumière crue d’un plafonnier, semble s’ennuyer ferme, lui en pose de penseur las, elle regardant au loin. L’exposition se termine dans une ambiance de chasse d’un genre particulier : la séduction. Des brèves extraites de journaux et de sites de rencontres accompagnent paysages et silhouettes :
« Samedi Montparnasse. 17h30. Bus 89. Femme léopard a dit non à homme tout gris qui voulait l’embrasser. Comment la retrouver ? 06… »
Juliette Rigondet
« Beau doublé, Monsieur le marquis ! », jusqu’au 11 février au Musée de la Chasse, à Paris.
Pour en savoir plus sur cette exposition, quelques mots issus du dossier de presse:
La méthode de création de Sophie Calle emprunte certains aspects à la pratique de la chasse. Ainsi, elle s’est fait connaître en s’exerçant au « pistage » d’anonymes croisés dans la rue. Changeant de rôle, elle a également endossé celui de la proie et confié à un détective privé le soin de suivre ses faits et gestes. La poursuite amoureuse, autre variante de la chasse à l’homme, traverse par ailleurs son oeuvre comme un fil rouge, prolongé ici par les annonces de rencontre, source d’inspiration de deux nouvelles œuvres.
L’artiste Serena Carone a été invitée par Sophie Calle à dialoguer avec elle au sein de l’exposition et présentera plusieurs objets issus de son bestiaire artistique. Son oeuvre constitue une sorte de cabinet de curiosités né de l’expérimentation et du travail des matériaux les plus divers. Aux antipodes de l’approche conceptuelle de Sophie Calle, Serena Carone propose un monde à la fois merveilleux et inquiétant et pose un regard singulier sur le monde vivant et son rapport à la mort.
Juliette Rigondet