La première « journée des éditeurs de nouvelles » a eu lieu le 1er juillet à Aleph à l’occasion du lancement du Réseau de la nouvelle et des formes courtes, créé à l’initiative des Editions Rue Saint Ambroise. Deux tables rondes rassemblant huit éditeurs ont permis de débattre de leur ligne éditoriale et du futur de la nouvelle. Retour en détail sur cet événement, où l’affluence était record !
Créé en novembre 2022 par les Editions Rue Saint Ambroise, le Réseau de la nouvelle et des formes courtes, rassemble 18 éditeurs : Antidata, Douro, Fables fertiles, Éditons du Jasmin, La Chambre d’échos, La Reine Blanche, L’ire des marges, La lucarne des écrivains, L’Ourse brune, Paul et Mike, Pourtant, Pneumatiques, Quadrature, Rue Saint Ambroise, Tituli, Triartis, Unicité et Zinc.
À l’heure où l’édition est menacée par la concentration de grands groupes, la crise du papier et l’édition numérique, nous étions particulièrement heureux d’offrir une bulle de résistance aux auteur-e-s présent-e-s, ainsi qu’aux éditeur-s-ices qui se battent jour après jour pour faire vivre et diffuser des nouvelles, en contribuant au débat sur la place de la forme courte dans le paysage éditorial d’aujourd’hui.
ENVOYER UN RECUEIL DE NOUVELLES À UN ÉDITEUR
Éditions de la reine blanche
Isabelle Taillandier a créé les éditions La Reine Blanche en 2018, en imaginant des livres dont chaque couverture ferait l’objet d’un dessin original, et d’une préface. Comme pour les Calligrammes d’Apollinaire, lire des nouvelles demande de l’exigence, c’est un éternel recommencement, quand le roman fait plutôt figure de voyage tranquille.
Les éditions sont composées d’une équipe de trois personnes. En 2021, a été créé la seconde collection « Petites rivières », qui offre la possibilité de ne publier qu’une nouvelle, et d’en découvrir plusieurs en coffret.
L’envoi des manuscrits se fait par courriel, et l’éditrice recommande d’écrire une lettre de présentation du travail et de l’auteur, en complément du manuscrit. Les critères de sélection portent sur l’intensité du récit, la concentration, la dextérité avec laquelle l’histoire est conduite et menée à son but.
L’Ourse brune
Les éditions L’Ourse brune sont composées de deux permanents, la maison a été créée en 2020 et publie un titre par an.
Les critères de sélection : l’univers développé dans la nouvelle et l’écriture, pour un format compris entre 24 000 et 34 000 signes. Le concept est de créer un beau livre avec une charte graphique soignée, et de publier une nouvelle par livre. Les manuscrits s’envoient par mail uniquement.
Éditions Triartis
Les éditions publient une dizaine de livres par an et est l’éditeur officiel de deux festivals.
Critère de sélection : unité d’écriture entre les différents textes, avoir une patte, un style ; une forme qui ressemble au théâtre ; des manuscrits très courts et pouvant être lu en une heure. Le bon moment pour l’envoi : la rentrée !
Paul & Mike
Paul & Micke n’aime pas les fautes d’orthographe, alors avis aux nouvellistes : il faut que le manuscrit ait été relu par un tiers, et retravaillé ensuite. L’éditeur indique qu’il reçoit trop de premiers jets, ce qui indique que ces manuscrits ont été envoyés sans relecture. Le premier lecteur étant alors l’éditeur, il ne peut poursuivre sa lecture de manuscrits souvent non terminés. Il rappelle qu’un texte publié est un texte qui a été envoyé au bon endroit… qu’il faut donc lire les livres publiés par l’éditeur auparavant.
Les éditions publient des recueils complets, parfois avec plusieurs auteurs sous forme d’anthologie. Attachant beaucoup d’importance à la forme, à l’originalité, ils publient entre 5 et 10 livres par an. Tirage : de 100, 500 ou 1000 exemplaires pour les recueils. Une présentation de l’auteur en quelques mots est souhaitée.
Envoi par mail uniquement… Pour les recueils : entre 100 et 300 pages avec 1 500 signes par page !
Antidata
Deux personnes sont aux commandes, Antidata publie deux titres par an, et considère les envois par mail uniquement. Tirages de 300 à 500 exemplaires selon les ouvrages. Les éditions publient des recueils individuels ; collectifs thématiques tous les deux ans. Le prochain thème au cours de l’année prochaine, sera publié sur leur blog.
Antidata édite également une collection de nouvelles à l’unité. L’éditeur précise ne pas s’intéresser à l’auteur avant lecture du manuscrit (donc pas la peine de s’épuiser avec la lettre de présentation), ses critères sont la personnalité de l’écriture et le style.
Revue Rue Saint Ambroise
Créée en 1999, la revue se définit comme une Revue de nouvelles et d’auteurs (les membres du comité de lecture sont tous des auteurs). Avec deux à trois numéros par an, sans thème ni ligne éditoriale, elle se vend très bien, car est lue par un grand nombre d’auteurs de nouvelles.
Depuis deux ans, RSA publie « la nouvelle de la semaine » en ligne, une publication hebdomadaire en format audio et écrit qui attire beaucoup de lecteurs et d’auditeurs. La revue organise un concours annuel de nouvelles (lecture anonyme).
Éditions Rue Saint Ambroise
RSA édite la collection « Les meilleurs nouvelles » depuis 2014, d’abord traduites de l’anglais (Fitzgerald, Woolf, Tchekhov…), elle a publié cette année un recueil de nouvelles françaises du XXème siècle. Une manière de constituer une bibliothèque idéale.
Les éditions viennent de lancer une seconde collection : Suites, dont le premier recueil « Autoportrait d’une danseuse » est paru cet automne, inaugurant un nouveau genre. Huit nouvelles reliées entre elles par un fil rouge. « Un genre composé de récits indépendants (pouvant être lus séparément), mais reliés entre eux par un ou par plusieurs fils conducteurs : le thème, le lieu, le personnage, l’action. » Ce projet s’est constitué autour d’ateliers de relecture entre auteurs de nouvelles. A lire: le plaidoyer des éditeurs pour un nouveau genre littéraire ici.
POURQUOI UN RÉSEAU DE LA NOUVELLE ?
Composé d’une vingtaine d’éditeurs, le réseau de la nouvelle et de la forme courte a été créé à l’initiative de Bernardo Toro, directeur de la revue Rue Saint Ambroise (Françoise Cohen, en est l’animatrice).
Son but est de sortir d’une logique de la concurrence et de rivalité pour aller vers coopération, l’entraide. Créer une autre économie du livre. Aller vers les régions, dans de petites villes où former des micro-réseaux reliant les acteurs du livre, en sortant ainsi des métropoles dans une logique de décentralisation, afin de participer aux salons, festivals littéraires de plus en plus nombreux. Former un réseau permet une participation conjointe ou de s’y représenter mutuellement.
Enfin, il est question d’être plus forts pour diffuser en étant plus crédibles, plus visibles pour les libraires. De les inciter à créer des rayons nouvelles en y associant une série d’activités au cours de l’année. Une manière de recréer un marché en montrant aux libraires que le format court peut leur amener de nouveaux lecteurs.
Selon Bernardo Toro, la nouvelle est un genre d’avenir car sa forme correspond aux nouvelles pratiques de lecture sur Internet. La difficulté de publication de la nouvelle réside dans son format car l’économie du livre se prête mal aux petits formats, les coûts de transport et d’acheminement étant élevés. Les publications de recueils au 19ème étaient liées à leur publication dans des journaux à grand tirage. Le problème n’est donc pas la nouvelle mais le format recueil qui n’a qu’une justification économique. Or, le recueil peut provoquer une forme de lassitude chez le lecteur en l’obligeant à passer rapidement d’une histoire à une autre. On peut dépasser cet écueil avec une unité thématique. A cette unité peut être ajoutée une progression. Conjuguer foisonnement, unité et déploiement. Allier unité du roman et variété de la nouvelle.
On peut néanmoins nuancer cette difficulté. Certes, lire un recueil de nouvelles est exigeant mais cela est inhérent au principe de l’éternel recommencement des nouvelles. Lire des nouvelles est « une forme d’exigence intellectuelle qui permet de s’élever ». L’unité thématique facilite les choses. Les recueils qui en bénéficient se vendent mieux.
Extrait du plaidoyer pour un nouveau genre littéraire : « Ces réflexions au sujet du format nous permettent d’envisager la constitution d’un nouveau genre capable de concilier la variété du recueil et l’unité du roman, la concision de la nouvelle et le déploiement du roman. C’est l’ambition que poursuit la collection « Suites » que les Éditions Rue Saint Ambroise ont lancé en novembre 2022 : offrir une alternative au recueil en proposant un nouveau genre qui échappe à la variété du recueil et à l’uniformité parfois lassante du roman. Un genre qui sera à la nouvelle ce que la série est au film, un ensemble découpé en unités indépendantes qui réalise la synthèse entre deux exigences en apparence contradictoires, la cohésion de l’ensemble et la variété des parties ». Le réseau s’est donné pour but aujourd’hui de favoriser également l’intérêt des critiques et du monde académique.
Nous remercions les éditeurs d’avoir débattu de la nouvelle à Aleph, présentant leur ligne éditoriale, ainsi que le public venu nombreux assister à cet événement !
Découvrez quelques images de la soirée
Danièle Pétrès