Voici le texte de Marie-José Billiaud en réponse à la proposition d’écriture d’Alain André à propos du livre de Siri Husvedt « Vivre, penser, regarder » (Actes Sud, 2013).
« L’auteur nous fait observer que, « faute de nous voir réellement nous-mêmes », nous avons une « idée » de quoi nous avons l’air : une image ou une identité corporelle. Et que notre « style », donc, vestimentaire notamment, est censé « exprimer » cette « identité ». Siri Husvedt pense savoir d’où lui vient cette image idéale : du glamour hollywoodien. Et vous ? Quelle image corporelle avez-vous de vous-même ? Comment faites-vous avec la tension entre cette image et la vision de votre moi idéalement habillé ? De quoi (quels souvenirs, quelles images, quelles références) cette « vision idéale » est-elle constituée ? Racontez. Envoyez-nous le meilleur du résultat – une page« .
Noir c’est noir
Un ami anglais me disait qu’il était frappé, quand il venait à Paris, de voir tout le monde en noir ! Il est vrai qu’à Paris, quelle que soit l’heure de la journée, dans le métro, ou en soirée, le noir domine.
La peur du trop ? Trop visible ? Trop ostentatoire ? Trop quoi au juste ? Peut-être vouloir se fondre dans un ensemble. Noir. Pour les autres comme pour moi. Mais moi, je m’y plie avec délices car j’ai toujours aimé le noir, décliné sous toutes ses formes dès que j’ai pu consacrer un budget à mes dépenses vestimentaires.
Je me revois trentenaire, jouant des noirs, pluriels bien sûr, les bleus, les rouges, les bruns, si difficiles à assortir pour qu’ils se flattent les uns les autres. J’aimais ma silhouette comme croquée, fluide, avec en points d’orgue une chevelure blonde que j’avais soin d’entretenir de reflets miel et une peau mate dont le noir exaltait le velouté.
Sans doute se nichait là le fantasme de la femme fatale, gainée de fourreaux noirs, sublimée par les matières, le noir aime les soies, satins, velours, peaux. Fantasme nourri par la vision, j’étais très jeune, dans un repas familial, d’une cousine lointaine, à la blondeur scandinave, vêtue d’une robe en peau brune, moulante… Clichés, me direz-vous. Eh oui, et je le revendique, pour mon plus grand plaisir, à la pensée de ce manteau en peau noire que j’avais réussi à m’offrir, long jusqu’aux chevilles, que son créateur avait parsemé de petites tiges ivoire, retenues par des liens en peau noire… Version actualisée de la squaw que je m’autorisais alors à être, sans vergogne. J’ai cessé cette recherche du toujours plus glamour, mais j’ai gardé le goût du noir. Il joue la seconde peau, me protège, me permet de jouer des matières. Ce qu’en voient les autres, je n’en sais rien. Et je n’ai pas envie de le savoir. J’aime évoluer ainsi vêtue, mon corps ne faisant qu’un avec moi-même, je recherche ce bien-être intérieur, qui me donne une sérénité extérieure et me permet d’être moi, partout, sans attirer l’œil. Sauf de celui ou celle qui ayant vu, saura reconnaître. Se faire reconnaître des siens. Peut être est-ce ce que chacun poursuit. Ne pas risquer le regard, voire la remarque qui isole, spécifie. Mon ami anglais avait raison, le noir nous va si bien, il nous protège, de nous, des autres. Sans doute dans ce monde à vif, où chacun d’entre nous peut se sentir écorché, avons-nous besoin de nous sentir en paix, derrière un rempart… Et réserver à quelques-uns, choisis, d’être soi, habillé ou non…
Marie-José Billiaud