En réponse à la proposition d’écriture de Laurence Faure à partir de « Premier Sang » d’Amélie Nothomb, nous avons sélectionné 8 textes parmi ceux envoyés par les participants. Voici celui de Myriam Melgo Mas.
Visite au père
Je m’approche de toi. Tu me sens, me devine. Je pose un baiser délicat, pudique et inconcevable sur ton front en évitant cette tâche de vieillesse qui s’est agrandie depuis la dernière fois. Tes vêtements sont propres, tu dirais, frais. Je m’approche de toi, t’embrasse et m’assieds sur le fauteuil. Je racle ma gorge m’apprêtant à te demander si tu vas bien depuis la dernière fois et regrettant que le temps passe si vite et que… comme d’habitude tu me prends de court. Je t’entends balbutier que tu vas bien et tu rajoutes lentement que ma présence t’est de plus en plus… tu ne finis pas ta phrase. Comme d’habitude aussi. Plus nécessaire ? Plus indispensable ? Je te demande si tu es bien installé dans ton lit, si tu souhaites que j’ouvre un peu la fenêtre. La chaleur du jour dans ta chambre de moribond m’oppresse. Est-ce seulement cela. Tu éructes en silence et tu poursuis ta phrase. Ma présence ne t’est ni nécessaire, ni indispensable, elle demeure, me dis-tu, « désordonnable ». Depuis ton AVC, ton langage de professeur de Lettres devient fantaisiste, fantasque, libre, énigmatique. Tes mots prennent leur revanche et s’affranchissent de leur prison dorée. Tu deviens à travers eux, l’être dont je rêvais. Alors, impunément je te questionne, t’interpelle, te traque, te harcèle. Je prends moi aussi ma revanche. Désordonnable ? Que veux-tu dire papa ? Le regard éteint, tu tournes la tête vers moi, tes mains de vieillard agrippent les miennes et tu susurres : ne me blaisse pas romper.