Monique Bertaut : L’entendement des choses

En réponse à la proposition d’écriture d’Arlette Mondon-Neycensas, vous nous avez envoyé votre lettre d’admiration à un artiste. Voici le texte de Monique Bertaut à Dimitri Rouchon-Borie.

L’entendement des choses

Dimitri,

T’écrire est une prolongation de ma lecture et agit comme un bref répit avec moi-même.

Quand je suis entrée dans ton livre,  je t’ai suivi dans la geôle du Démon de la colline aux loups où j’ai écouté, ébahie, le récit de ton prisonnier qui de son pauvre langage, qu’il nomme son parlement, m’a enveloppée, ligotée avec la voix que tu lui as prêtée qui souffle, charrie comme une coulée de lave incandescente ses bribes de mémoire d’où les ombres qui sortent font du bruit, hurlent dans les flammes, une langue qui déverse un flux de mots ininterrompu, tellement puissants que j’en ai mal aux yeux à tenter de comprendre le trauma si profond et la lutte intérieure qui se déroule devant moi entre le démon qui l’habite et l’humanité dont il déborde.

J’en suis bouleversée. J’ai emboité ses pas, ses pensées, son langage, ta langue ; elle est devenue mienne. Brutalisée dans ma mémoire et dans ma chair, j’ai suivi, secouée par une solitude immense, les contours de ses ombres.

Je me suis épuisée à former dans mon cerveau tes phrases interminables, j’entendais tes mots “On était là mais on ne savait pas qu’on y était” mais moi j’étais déjà loin emportée par les mouvements permanents de ce parler qui malmenait mon esprit, embrouillait nos destins. Tu m’as possédée.

Je voudrais respirer. Ton livre me brûle les doigts, pourtant j’aimerais tant ne pas l’avoir terminé. Ouvert sur ma table, il me retient, hypnotisée. Je me demande qui je suis.

M. Breton