En réponse à la proposition d’écriture de Laurence Faure à partir de « Premier Sang » d’Amélie Nothomb, nous avons sélectionné 8 textes parmi ceux échangés sur notre plateforme. Voici celui de Monique Bertaut.
Autour du pot
J’ai sorti les croquettes du chat quand j’ai découvert, stupéfaite, le pot de Nutella sur le sol derrière le sac. Il était vide. Pendant un bref instant j’ai été prise de panique, j’ai eu envie de partir et de n’avoir pas vu. Mais déjà mon fils me regardait interrogateur. Il me fallait trouver des mots pour affronter cette chose inadmissible qui s’était produite dans ma famille. Quelqu’un avait mangé en cachette toute la pâte chocolatée.
Je me revoyais la veille, mon assiette de crêpes à la main, cherchant en vain le pot dans le placard, déboussolée devant l’étagère vide, prise d’un vertige. J’avais bafouillé des excuses. Mes petites filles s’étaient levées pour voir, et avaient dit : ce n’est pas grave, mamie ! J’avais sorti un pot de confiture.
Elles déjeunent devant le pot vide. Ève répète à son père assis au bout de la table :
– Ne me regarde pas comme ça. Ce n’est pas moi.
Et Ana la bouche pleine :
– C’est bête de l’avoir mis derrière les croquettes du chat. Il y a d’autres cachettes. Dans les WC par exemple. Et pourquoi ça ne serait pas Ève ou papi ou toi ?
J’avale une gorgée de café pour me calmer. Je regarde tour à tour ces visages d’anges au regard qui ne cède rien, le petit sourire en coin de mon fils. Une biscotte craque, rompt le silence, les filles pouffent de rire, les mots reviennent, le séjour reprend un aspect normal, dehors le vent agite le prunier. Je me mets à rire moi aussi, dans le fond soulagée sans savoir véritablement de quoi.