Mohamed Kacimi : « J’entre dans les villes comme on entre dans la mer »

Auteur de plusieurs romans, essais, et pièces de théâtre (publiés notamment chez Gallimard et Actes Sud), Mohamed Kacimi parcourt le monde depuis trente ans, pour animer des chantiers d’écriture dans des théâtres et des universités. Il animera le stage : « Ecrire Paris » du 25 au 29 Avril 2022. Nous l’avons rencontré.

L’Inventoire : En tant que romancier et dramaturge, vous avez beaucoup voyagé et vécu dans des villes du monde entier. Que vous apprennent les villes en tant qu’écrivain ?

Mohamed Kacimi : J’entre dans les villes comme on entre dans la mer. Il en est de houleuses et agitées, qui vous ballotent comme un fétu de paille, ne vous laissent pas reprendre votre souffle et vous font boire la tasse. Je pense au Caire, à Bombay, à New York, ou à Beyrouth. Il en est d’autres qui sont calmes, belles, transparentes comme la mer des Caraïbes. Je pense à Montréal, Vienne, Prague, Milan… où l’on nage d’une autre manière. On ferme les yeux et on écoute le clapotis du monde et des hommes.

L’Inventoire : Comment voyez-vous Paris quand vous y circulez ?

M.K. : Je vois Paris avec beaucoup de nostalgie. Je n’ai jamais passé mon permis de conduire. Grand marcheur, d’année en année j’observe la ville se transformer, s’enlaidir, s’appauvrir. J’ai une grande mémoire qui me permet à chaque parcours de restituer la physionomie des lieux, les cafés disparus, les librairies fermées, les petits restaus.

L’Inventoire : Pourquoi avoir choisi cette ville pour y poser vos valises ?

M.K. : Je suis entré dans Paris par les livres. Par Zola d’abord, qui est un magnifique géographe de la ville et son arpenteur, puis par une grande passion dans ma jeunesse pour les surréalistes. Nadja de Breton ou Le Paysan de Paris m’ont donné les premières clés pour entrer et pour vivre à Paris.

L’Inventoire : Vous avez rencontré les poètes Eugène Guillevic et Bernard Noël à votre arrivée à Paris en 1982. Ensemble vous avez traduit le poète irakien Chawki Abdelamir. Que vous ont apporté ces rencontres ?

M.K. : Ce sont deux rencontres décisives. J’ai eu le bonheur et la chance de travailler avec les deux. J’ai connu Guillevic qui était dans un âge avancé et grâce à lui j’ai appris, de l’intérieur, une grande page de l’histoire de la poésie, notamment sa relation avec Aragon et tout le groupe des poètes qui gravitaient autour du PC. Quant à Bernard Noël, qui vient de disparaître, il a porté la langue à un degré d’incandescence rare. Il a réussi dans sa vie à concilier une immense passion pour la littérature et un grand amour des autres. C’était un homme curieux du monde, à l’écoute du moindre remous à travers la planète, et d’un engagement politique rare dans ce milieu.

L’Inventoire : Faut-il avant tout de la joie pour se mettre à écrire ? 

M.K. : Je n’ai jamais pris la littérature au sérieux ni lui ai prêté un quelconque pouvoir d’agir sur la société ou de transformer le monde. Le seul pouvoir magique qu’elle procure, et c’est fabuleux, c’est la joie de jouer avec les mots, de les changer, de les effacer, dans l’espoir de trouver dans ce fatras incroyable de la langue, la musique qu’on cherchait à entendre en écrivant un chapitre ou une phrase.

Apprendre à connaître les autres avant d’apprendre à écrire

L’Inventoire : Qu’apprendra-t-on à écrire dans votre stage ? Apprendra-t-on à vagabonder pour s’oublier, pour retrouver un regard neuf ?

M.K. : Au-delà de l’écriture, ce que j’aime dans les stages, c’est d’apprendre à connaître les autres avant d’apprendre à écrire. Suivre leurs hésitations, leurs balbutiements, parfois leurs égarements, et partager avec eux l’incertitude ou l’inquiétude de vouloir écrire pour pouvoir en rire, ensemble, à la fin. Tout cela n’était qu’un jeu. Et ce n’est pas rien un jeu. C’est du sérieux !

DP

Mohamed Kacimi animera le stage « Ecrire Paris » du 25 au 29 Avr. 2022. 

Mohamed Kacimi parcourt depuis trente ans le monde pour animer des chantiers d’écriture à Prague, Beyrouth, Chicago, Wesleyan, Jérusalem, Milan, Rabat, Toronto, Bagdad, Montréal.

« L’écriture est un geste simple de la main. Elle n’a besoin ni d’envolée, ni d’inspiration, ni de violons, mais juste d’un bout de papier, d’un crayon et de beaucoup de joie.  »