À l’occasion de la formation « Écrire et publier votre histoire de vie », proposée par le Pèlerin et Aleph-Écriture, l’Inventoire a interviewé Michèle Cléach, responsable de ce parcours. Une opportunité inédite en France d’être accompagné(e) dans l’écriture de son histoire jusqu’à l’édition du livre de sa vie.
Sylvie Neron-Bancel: Des personnes qui ne sont pas dans une pratique régulière d’écriture peuvent-elles suivre la formation Écrire et publier votre histoire de vie ? Quelles sont les qualités requises pour suivre ce genre de parcours ?
Michèle Cléach : Je ne parlerai pas de qualités, mais de désir, d’envie de transmettre, de travail aussi. Du goût pour l’écriture bien sûr, même si jusque-là on n’a pas eu de pratique régulière.
Est-il nécessaire d’avoir vécu un événement important dans sa vie (deuil, exil, etc.) pour se lancer dans l’écriture d’un récit de vie ? Est-ce que tout le monde peut écrire, a quelque chose à raconter ?
Toutes les vies sont, a priori, intéressantes. Il y a certes de « grands » événements qui vont marquer certaines vies mais la majorité des vies sont traversées par des événements, heureux ou malheureux, personnels, intimes, des rencontres ; elles s’inscrivent dans des lieux qui ont plus ou moins d’importance, etc.
Ce qui fait l’intérêt d’un récit de vie, c’est aussi comment on le raconte.
On ne peut pas tout raconter d’une vie, il faut faire des choix, privilégier une période plutôt qu’une autre, des personnes plutôt que d’autres, etc. C’est la façon de mettre sa vie – ou des moments de sa vie – en récit qui va aussi donner au destinataire envie de la lire.
Transmettre dans un livre son combat, ses fragilités, sa différence peut-il aider les générations futures à la compréhension du monde ?
Chaque personne est unique, chaque récit est singulier, mais il s’inscrit aussi dans une histoire que d’autres ont vécu. Je pense au livre Les Années d’Annie Ernaux, livre qu’elle qualifie d’auto-socio-biographie. On n’est pas seul au monde, on vit en interaction avec les autres et le monde qui nous entoure.
Alors je ne saurai dire si transmettre un combat, des fragilités, une différence, ça peut aider les générations futures à la compréhension du monde. En revanche, leur donner à voir dans quel monde leurs ancêtres ont vécu avant eux, d’où ils viennent, comment ils ont traversé l’Histoire, comment ils ont interagi avec les autres, ce qu’ils ont fait de ce qu’on leur avait transmis, oui, cela peut leur donner des clés pour comprendre leur propre vie et surtout la vivre comme ils le souhaitent.
Faut-il attendre d’avoir 70 ans pour transmettre son histoire de vie à des descendants, à des proches ? Peut-on commencer plus tôt ?
Sauf événement majeur, c’est plutôt aux environs de la soixantaine que l’on commence à éprouver le désir de transmettre son histoire, et donc de l’écrire. Ce peut être aussi une demande des enfants et plus souvent encore des petits-enfants. C’est souvent à la disparition des parents, soit parce qu’il y a eu un défaut de transmission, soit parce qu’au contraire on veut transmettre ce qu’ils ont eux-mêmes transmis, que l’on éprouve le désir d’écrire, de laisser des traces, que toutes ces vies ne se perdent pas au fil des générations.
Avant 60 ans, la question de la transmission se pose moins, sauf événement important comme je vous l’ai dit (accident, maladie grave, etc.) et si le désir d’écriture biographique peut exister il n’est pas forcément lié à la question de la transmission.
Est-ce que revenir sur des événements de sa vie permet de mettre en lumière et de donner du sens à son parcours ?
L’écriture, le travail de l’écriture, contribue à repenser sa vie, à la revisiter, à la regarder sous des angles différents.
Chercher les mots justes, les agencer d’une certaine façon plutôt que d’une autre, relier les événements entre eux, c’est certainement éclairer sa vie d’une autre façon, c’est la relire différemment.
Dans cette optique-là, oui, l’écriture de sa vie permet non pas de donner du sens, mais de donner un sens à son parcours de vie.
Et donner un sens à ce que l’on a vécu ce peut être aussi donner un sens (une direction) à ce qui nous reste à vivre. Cet effet-là je l’ai particulièrement observé chez des personnes qui avaient subi des traumatismes graves et qui, comme souvent dans ces cas-là, regardaient leur vie uniquement à travers ce prisme-là. Quand les propositions d’écriture les amènent à écrire sur des lieux, des périodes, des événements, des personnes, qui sont étrangers à l’événement traumatique, souvent leur regard sur leur vie, change. Oui, rien n’effacera ce traumatisme, mais leur vie ne se réduit pas au traumatisme.
Est-il nécessaire d’avoir une bonne mémoire pour écrire?
Bien sûr que la mémoire joue un rôle dans l’écriture du récit, mais un des effets de l’écriture c’est de réactiver la mémoire ! Dans un atelier, il n’est pas rare d’entendre « ah, mais ça, je l’avais complètement oublié, c’est en entendant la proposition, ou en écrivant, que ça m’est revenu ! ». Et on n’écrit pas à partir de rien ! Il n’est pas question ici de faire un développement sur le fonctionnement de la mémoire autobiographique, mais on sait qu’elle fonctionne par associations, un souvenir en fait surgir un autre, le récit fait par quelqu’un d’autre va réveiller un épisode oublié de sa vie, etc. Et bien sûr les propositions d’écriture y contribuent, et aussi les différents médias ou écrits antérieurs sur lesquels on peut s’appuyer : journal personnel, notes, photos de famille, documents d’époque, papiers d’état-civil, etc.
Qu’apporte un atelier collectif ? Que signifie « accompagner », dans votre métier de formatrice à l’écriture que vous exercez depuis plus de quinze ans?
L’atelier d’écriture, quel que soit son thème, c’est d’abord un lieu où se retrouvent des personnes qui ont le même désir d’écrire et d’avoir des lecteurs ; qui ont envie, en tous les cas c’est ce que nous proposons dans nos ateliers, de faire un vrai travail d’écriture, c’est-à-dire écrire et réécrire.
Dans le cas des ateliers qui nous occupent ici, les personnes ont également en commun le désir de transmettre et ont en général des destinataires déjà désignés.
Ce sont donc des personnes qui se retrouvent avec un projet similaire, qui concerne leur vie avec tout ce que cela a d’intime et de personnel, qui vont partager avec d’autres leurs difficultés à dire certaines choses et qui vont s’appuyer les unes sur les autres pour trouver comment dire ce qu’ils souhaitent dire. Les textes des uns et des autres vont provoquer des échos, des résonances, mais aussi des encouragements à creuser certaines pistes ; cela va donner des idées quant aux façons de faire ; tous ces regards croisés sur les textes, sur l’écriture des textes sont une source d’enrichissement formidable !
En tant que formatrice, dans un atelier, j’accompagne à la fois le groupe et les personnes. Chaque personne dans son désir d’écrire et donc de travailler son écriture, dans son projet personnel, dans l’atteinte de son objectif. Je suis aussi garante de la place de chacun dans le groupe, je veille au respect du cadre, au bon fonctionnement du groupe. Un groupe qui fonctionne bien, c’est un groupe qui fonctionne sur la solidarité, le soutien réciproque, qui est générateur d’énergie pour tous.
Des participants de vos formations ont publié leur récit de vie, qu’est-ce que cela a changé pour eux ?
D’une personne à l’autre, c’est différent. Ce le sera d’autant plus que la publication est destinée à un cercle restreint (enfants, petits-enfants), à un cercle familial élargi, aux amis, ou si c’est une publication grand public. Ce qui est certain, c’est qu’il y a toujours des effets, que ce soit dans leur vie personnelle, leur manière d’être et de faire, ou dans leur vie familiale, sociale, amicale. Je pense à une participante, 80 ans au moment de la publication, qui a renoué avec une partie de sa famille à cette occasion, rencontré des cousins éloignés qu’elle ne connaissait pas, s’est lancé dans d’autres projets, bref, sa vie sociale a largement changé et elle a aussi continuer à écrire.
Propos recueillis par Sylvie Neron Bancel
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Formatrice-consultante, Michèle Cléach explore depuis plus de dix ans les sentiers des histoires de vie et des ateliers d’écriture. Elle est titulaire du Diplôme Universitaire des Histoires de Vie en Formation, et participe aux travaux de l’ASIHVIF-RBE (Association Internationale des Histoires de Vie en Formation et pour la Recherche Biographique), et du RQPHV (Réseau Québécois pour la pratique des Histoires de Vie). Elle vient de publier avec Delphine Tranier-Brard « Devenir biographe » aux éditions Chronique Sociale.