Le livre a la taille d’un carnet, d’un très beau carnet dans lequel ont été délicatement déposés des traces de la vie de Marie consignées dans des carnets qu’elle a laissés derrière elle dans sa maison du Forez ; des traces de la vie de l’auteure, la voisine de Marie ; et les photos des carnets et de ses motifs, celles du village aussi, par le nouveau propriétaire de la maison de Marie.
Pas vu Maurice, c’est l’histoire d’une « vie minuscule ». L’histoire d’un lieu, et d’un monde oublié.
Pas vu Maurice, ce sont deux écritures qui se répondent, s’interpénètrent, se révèlent l’une à l’autre. C’est une écriture hybride. A la voix de Marie, à ses notations quotidiennes, va répondre la voix de l’auteure :
Marie remplit un carnet par an,
de 1987 à 2000. Sauf en 1999.
Cette année-là, Jean, son frère, est
hospitalisé. Ma mère aussi, pour un temps.
La voix de Marie, pourtant, est difficile à entendre, tant l’écriture est sobre : pas de phrases, pas de développement, peu de ponctuation, juste des mots pour dire le quotidien brut, les tâches, les activités, les événements d’une vie, et à chaque entrée du carnet, un mot, une ligne sur la météo :
Septembre 1991
Un peu de pluie.
Manger premières fraises du
jardin, tuer un lapin mâle. Fait
choux-fleurs, haricots. Laver
couleurs, cimetière, arracher
herbes choux, semer doucettes,
faire emporter clé et lunette
d’approche, brosser et ramasser
habits chambre, nettoyer cave,
changer heure.
Et même les événements de la vie de l’auteure :
« Laurence arrivée avec un copain,
repartie seule. Laissé lumière
allumée dans la salle de bains. »
Et ces mots qui se répètent d’entrée de carnet en entrée de carnet. Au mois d’octobre 1998 :
Jeudi 1er octobre
M. fait feu chats poules bois.
Vendredi 2 octobre
Jean fait feu chats poules.
Samedi 3 octobre
Fait feu chats poules.
Dimanche 4 octobre
Fait feu chats poules, bois, lapins,
Moisson.
A lire les carnets de Marie, je ne peux m’empêcher d’évoquer ceux de Bergounioux, la même sobriété, la même préoccupation de relater le quotidien des jours pour que la vie ne se perde pas, la météo du jour, toujours, et les récurrences d’une année à l’autre, d’une saison à l’autre, ce que Laurence Hugues appelle « les motifs ». Motifs qu’elle déplie et, les dépliant, nous donne à voir des bribes de vie au village, la sienne, celle de sa famille, du village aussi. A la table des matières les motifs se déclinent : les martres, les P de T, les pancartes, les châtaignes, les papiers peints, les soupes dorées, le cochon, les slips, la neige, les petites filles, les dahlias, le pain. Chaque motif, en quelques pages chacun, fait des aller-retours entre les activités, le paysage, la vie de Marie, la vie de l’auteure, de ses habitants, entre la vie du village hier et celle d’aujourd’hui. Légèrement, sobrement, poétiquement. (C’est léger, c’est sobre, c’est poétique) :
La neige
Le 13 mai 1995, il neige. Sans Marie
on ne s’en souviendrait pas. Même si
ce n’est pas rare. En mai fais ce qu’il
te plaît, sauf là-haut. Méfie-toi.
Quand j’étais gamine, la neige tombait
aussi grand que moi. La première année
de notre installation, il fallait sortir
pour aller faire pipi de l’autre côté de
la route, dans un cabanon en bois.
Neige ou pas neige, nuit ou pas.
La neige fait luire la nuit.
Avec ces motifs, c’est Roland Barthes que l’on convoque, celui du RB par RB, des anamnèses et des biographèmes. Et l’on a envie d’espérer que, comme RB par RB, Pas vu Maurice sera encore lu dans de nombreuses années. En attendant, glissez-le dans votre poche, n’hésitez pas à l’en sortir, dans les transports, dans la salle d’attente du médecin ou du dentiste, dans les jardins publics ou au coin du feu.
Michèle Cléach