Parfois la vie s’accélère, parfois elle ralentit. En ce moment les heures passent plus vite alors qu’on ne fait presque rien; courir du lit à la cuisine à 7 heures du matin pour quoi faire? Pas de bus à prendre, même pas à s’habiller pour se connecter au travail. Alors dans ces moments où la torpeur gagne, où le monde d’hier devient chaque minute un peu plus le vestige d’un passé dont on n’arrive plus à convoquer le souvenir, un monde où on aurait des rendez-vous, des conversations avec des collègues, des amis, et même n’importe qui, il est salvateur de lire des nouvelles de Somerset Maugham, parce que son monde d’hier est encore le monde d’aujourd’hui.
Un monde où encore parfois, on rit. On rit comme seul projet d’avenir, comme seul remède au renoncement. Bien sur il y a les films de Woody Allen, mais on les a tous vus. Les aventures de Bertie Wooster, 5ème du nom dans la saga de P.G. Wodehouse, mais les dandys dont le seul problème est que le majordome prenne ses congés à Noël ont du mal à nous décrocher encore un sourire. C’était le monde d’hier, un monde où on pouvait avec légèreté se moquer d’un aristocrate idiot aux prises avec sa prochaine demande en mariage qu’il s’évertue à repousser indéfiniment. On connait désormais le remède à ses tourments : ne plus sortir de chez lui. Parfois aussi on entre-aperçoit un trait d’esprit de Jules Renard dans son Journal entre deux siestes; mais ça nous rappelle trop la France, la raison, les raisonneurs, et la tristesse de la lucidité. La France et l’équilibre de sa langue, sa capacité à élever au-dessus de la mêlée et être simplement intelligent dans son coin, on en a tout simplement ras le bol. On ne voudrait plus être français, on voudrait juste être citoyen du monde, élargir ses horizons, bref, voir les choses d’un autre point de vue que celui dont on a été nourri au berceau. À ce titre, la littérature anglo-saxonne est un puits de jouvence. Dans les nouvelles de Somerset Maugham en particulier, on peut respirer air non pollué comme celui de la montagne.
Il y a des voyages aux Indes où on trouve des écrivains emportant pour tout bagage un sac de livres (ceux à lire en cas de maladie, au cas où on serait en pleine forme, ceux qu’on s’est toujours promis de lire mais qu’on n’a jamais lu, les romans à lire quand la tempête fait rage, ou ceux encore dont le seule vertu est d’être lisible). On peut y découvrir les portraits de femmes dévalisées par des hommes au sourire policé parce qu’elles n’ont pas su dire merde quand il était encore temps et qui comptent bien se rattraper pour faire des conneries après 50 ans, des égéries de la littérature qui se mettent au roman policier parce que ça rapporte plus même si c’est parce que leur mari en ont eu marre de leurs belles phrases, on peut y lire tout ce que les gens pensent sans oser le dire jamais, et bien plus encore. On y découvre des femmes d’âge mur qui courent dans la jungle derrière des jeunes-gens effrayés, la vérité d’une vie au cours d’une conversation sur le pont d’un bateau, entre deux escales et trois bouteilles de scotch. En une vingtaine de pages, des vies sont empaquetées dans leurs abîmes de perplexité. On voudrait intervenir, prévenir leur chute ; mais Somerset Maugham est là pour décocher une dernière flèche à la fin du paragraphe, vous rendant à votre humanité la plus sensible : le rire. Amours Singulières.
Bonne lecture.
Danièle Pétrès
Amours Singulières de Somerset Maugham (Collection 10/18). L’Inventoire soutient les librairies indépendantes. Vous pouvez vous procurer les livres de Somerset Maugham en suivant un des liens suivants si vous avez la flemme de descendre :
https://www.parislibrairies.fr