Luis Luna anime la 3ème journée de « Teachers Training » au Moulin d’Andé, organisée par l’EACWP (l’association des écoles d’écriture en Europe). Enseignant à la Scuela de Escritores, Luis Luna est également directeur de la collection de poésie « Fragmentaria » de la maison d’édition Amargord.
Parmi ses nombreux recueils de poésies, citons The forest warden’s notebook, Al Riha (The journey), Gloomed territory. Un grand nombre de ses recueils ont été traduits en plusieurs langues (anglais, français, roumain, italien, etc.) et ses anthologies publiées en Chine, Argentine, France, Équateur et Allemagne sous le titre Look at birds. Ses poèmes jusqu’à 2016 ont été rassemblés par l’éditeur américain Artepoética Press sous le titre Language rooms. Luis Luna a travaillé également à la réalisation de chorégraphies et est Docteur en « Hispanic & Romance philology », c’est un spécialiste de l’étude des espaces, déplacements, des frontières et de l’exil dans la poésie contemporaine (sujet de son intervention dans ce séminaire de formation).
À la fois théorique et pratique, son approche de l’enseignement de l’écriture créative met la langue au cœur d’une pédagogie alternant travail individuel, en petits groupes et en dynamique de groupe. Son cours est ainsi très interactif, et demande l’implication du corps puisqu’il s’agira de se déplacer, d’être déplacé.
Luis Luna nous invitera à sortir dehors, à bouger de notre place pour sortir de notre zone de confort, jusqu’à former même une sorte de chorégraphie Hopi.
Cette masterclass exprimera d’abord de manière pratique la question du territoire, qu’il soit métaphorique ou réel, contemporain, les bases conceptuelles seront explicitées à la fin. D’abord la pratique, ensuite l’analyse. Sa méthode vise à déplacer notre attention, à nous surprendre par des éléments inattendus pour réveiller notre créativité en tant qu’auteurs et enseignants.
Introduction : pensez à une émotion
La littérature est une petite société et, en tant qu’enseignant, il s’agit de sortir de sa zone de confort.
« Confusion is a way to wake up » : La confusion est une manière de se réveiller, et cela ne peut se faire qu’en dehors de sa zone de confort.
Luis Luna, debout, circule devant nous. Il nous dit : « Pensez à une émotion ». Nous la notons.
Écrire c’est construire et délimiter un territoire qui ne se limite pas à une intrigue et des personnages. Un territoire est aussi un lieu pour y inviter des lecteurs.
Pour construire cet espace, notre outil est la langue.
Pour illustrer ce propos Luis Luna nous demande de choisir 4 mots qu’il appelle les mots « totem » de notre territoire. Ce sont des mots qui reviennent constamment dans notre lexique.
Il poursuit en insistant sur le fait que chaque émotion devrait être rattachée à une liste de mots totem.
À nouveau il nous interpelle « trouvez 4 mots totem qui correspondent à l’émotion que vous aviez choisie au départ ».
Définir son propre territoire
Nous devons choisir un point de vue, c’est-à-dire regarder les choses comme si c’était la première fois que nous les voyions. Il appelle cela le « migrant point of vue » ou « point vue nomade ». Une manière de nous mettre dans la peau de quelqu’un d’autre, de passer du je au tu par exemple.
« L’écrivain doit se positionner en face de son territoire comme un étranger et observer les choses comme si c’était la première fois. A migrant point of vue ».
Et c’est à ce moment-là, alors que les 4 mots totem et l’émotion choisie sont posées qu’il nous demande de sortir 10 minutes à l’extérieur pour regarder les arbres ou un arbre, avec un œil neuf.
« The trees don’t speak english, trees have their own language »
Les arbres ne parlent pas anglais, ils ont leur langage propre.
De retour dans la salle, il nous demande d’écrire quelle émotion (ou vision) cette observation a causée en nous. Nous écrivons durant 15 minutes.
Nous constituons ensuite un cercle, debout, à la manière des indiens Hopi, très serré, et chacun exprime l’émotion qu’il ressent à ce moment-là en regardant la personne qui se trouve en face.
La littérature : le silence et le rythme
Il enchaîne sur la métaphore et le rythme, après avoir insisté sur l’importance du silence.
Nous pouvons alors entendre sa définition de la littérature par cet exemple
« I put my coat because it is raining” (J’ai mis mon manteau parce qu’il pleuvait”, la littérature dirait « I put my coat so it rained » (j’ai mis mon manteau pour qu’il pleuve”).
C’est ça la littérature.
Après cela, il nous fait entendre une musique envoûtante, presque chamanique en nous demandant de nous oublier. Nous avons un temps d’écriture de dix minutes (qui n’est pas de l’écriture automatique) : « laissez-vous transporter par la sensation tandis que vous écoutez ce morceau de musique ».
Nous écrivons une dizaine de minutes, sur la musique comme un « flow », pour chercher une poésie, un regard innocent, l’enfant en nous. Nous ne lirons pas nos textes, mais suite à cette écriture, une minute de silence sera respectée par le groupe.
Envisager tous les territoires métaphoriques et contemporains
Luis Luna nous propose ensuite une liste de territoires, d’espace ou de lieux, au nombre de 5, pour rentrer dans la théorie.
L’utopie (un pays rêvé, meilleur)
Fantapolis (un pays de fantaisie)
Non places (Non lieux ou lieux de transition : aéroports, hôtels, lieux sans identité autre que celle qu’on leur donne).
Hétérotopie (un monde construit à partir d’un élément, par exemple Jack Kerouac construisant un récit autour de la « route 66 »). Pour Foucault qui a utilisé ce terme, ce sont des lieux en dehors de la vie quotidienne, des lieux en marge (tels que la prison).
Dystopie (où le pire est peut-être possible. 1984 de George Orwell. W de Pérec, La Jetée de Marker, dont il nous projette un extrait.
En évoquant Juan Rulfo, écrivain et photographe, auteur du roman Pedro Paramo » (et du recueil de nouvelles « Le Llano en flammes »), il nous demande alors « Quel est l’espace pour votre intrigue, quels sont les mots clés et les outils de travail, les techniques d’écriture, pour construire ? ».
Il nous invite par exemple à « localiser une sensation », se débarrasser des clichés, s’immerger dans la structure, le rythme (en lisant à voix haute), pensant l’atmosphère, les idiolectes, la cohérence avec le propos, et le point de vue.
Ainsi, nous sommes amenés à écrire pendant 15 minutes afin de décrire notre territoire en tenant compte de ce qu’on a écrit tout au long de cette séance.
Qu’avoir à l’esprit pour enseigner ?
Á la fin de cette masterclass, Luis Luna nous prodigue quelques conseils pour enseigner une fois retournés chez nous (ce que nous devrions garder en tête).
- Apprenez de vos étudiants, c’est une manière de vivre
- Sortez de votre zone de confort
- Pratiquez
- Apprenez à désapprendre
- Essayez de retrouver l’enfant en vous
- Improvisez
Les exercices se déroulent l’après-midi, et nous en publierons quelques extraits.
Françoise Khoury et Danièle Pétrès