« Lui », Marielle Bacle

Sur une proposition d’écriture de Sylvette Labat à partir du roman de Pierric Bailly « La Foudre » (P.O.L, 2023), ce texte figure parmi les huit sélectionnés.

Marielle Bacle

Je le regarde. Il est encore beau. Beau n’est peut-être pas le mot. Une sorte de charme un peu rugueux qui s’est bonifié avec les années, comme un vin mur.

Quand il était jeune, je trouvais qu’il ressemblait à un acteur ; brun à la chevelure brune, épaisse et drue dans lesquels je plongeais mes doigts avides. Des yeux sombres, perçants et insondables qui lui donnaient un air vaguement mystérieux. Un sourire dévoilant deux incisives blanches écartées qu’on appelait les dents du bonheur, cette particularité qui m’avait tant séduite. Un nez droit, une bouche fine que j’effleurais doucement, juste avant de l’embrasser fougueusement.

L’hiver, quand ses lèvres étaient fendillées par le froid, j’arrachais une à une leurs gerçures avec mes dents. Ça lui faisait mal. Parfois même il saignait. Mais je continuais, comme si je voulais lui prendre ce que je savais obscurément que nous ne partagerions pas ensemble ; ce bonheur dont je n’ai aujourd’hui encore, pas trouvé le mode d’emploi.

J’étais folle de lui pourtant j’étais partie. Pour rien. Une tocade. Un amour d’été rencontré sous un soleil artificiel quelques semaines avant de nous marier. Ça lui avait fait un mal de chien. A moi aussi. Mais pas tout de suite. Un venin à effet prolongé. Une rage insidieuse mêlée de regrets à l’assaut d’un chemin de vie cabossé.

Aujourd’hui c’est l’automne. Je l’écoute me raconter ses joies, sa famille, ses voyages, cette vie comblée qui aurait pu être la mienne.

Un gout de morsure au fond de la gorge.

M.B.

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