Nous avons rencontré Loïc Bonimare, auteur, dramaturge et formateur-animateur d’ateliers d’écriture. Nouveau venu dans l’équipe d’Aleph, il animera le stage d’initiation qu’il a créé : « Les Défis de l’adaptation » à Paris, du 24 au 28 avril 2023.
Vous avez beaucoup travaillé pour les enfants, notamment actuellement où vous êtes responsable de la programmation jeune public et des actions culturelles au Théâtre de Saint-Maur des Fossés. Se connecter à l’enfance est-il le plus sûr moyen d’explorer des pistes personnelles d’écriture ?
Je suis convaincu que l’enfance est un territoire privilégié de l’écriture, et que l’écriture est un des plus puissants médias pour y plonger. Je travaille beaucoup à mettre en contact des publics d’âges divers et je vois d’incroyables mécanismes à l’œuvre. Si on prend le temps et qu’on trouve la bonne porte d’entrée, des personnes de 90 ans peuvent retrouver des fils très anciens de leur mémoire, qu’ils croyaient avoir perdu.
De même, j’ai constaté que les enfants qui recueillaient ces textes pour les illustrer étaient extrêmement sensibles à ces souvenirs, bien qu’ils semblent relever d’un monde révolu. Les souvenirs des uns deviennent le prétexte aux histoires des autres. Ce n’est pas que l’émotion du texte qui s’écrit et qu’on n’attendait pas ; c’est aussi l’occasion d’un dialogue précieux.
Je suis toujours à l’affût des rythmes et des couleurs
Vous avez publié deux recueils de nouvelles et de nombreux poèmes en revue, votre pratique de la poésie vous aide-t-elle à écrire des histoires longues ?
Je ne sais pas si ça m’aide. Est-ce la pratique de la poésie qui m’a rendu si lent ? Je soupèse, je reprise, je tisse en permanence mes récits. C’est assez fatiguant. Il arrive que je lâche la bride et que le récit se construise dans un geste fluide, mais si je regarde ma façon de travailler, je dois bien constater que je suis toujours à l’affût des rythmes et des couleurs. Au fond c’est peut-être ce qui me permet d’aller au bout d’une histoire : je dois descendre le long du fil à plomb, ce mélange de scénario et de tonalité qui s’est imposé à moi, et mon boulot d’écrivain est de conserver cette tension jusqu’à une forme de résolution.
La poésie permet-elle d’enrichir l’univers d’un personnage par exemple ?
C’est certain. On a souvent envie de cerner nos personnages dans un schéma comportemental. On les dote d’une apparence et d’un tissu relationnel au cœur de l’intrigue, parfois d’un “for intérieur” qui les meut. Tout cela est très fertile. Mais s’en remettre à la poésie pour élaborer un personnage, c’est l’épaissir d’un je ne sais quoi qui nous échappe, ou qui échappe à la mécanique instrumentale du récit. Je suis assez fier d’Angèle dans ma nouvelle Devant le son, qui est avant tout le fruit d’une grande improvisation rythmique sur un beat techno.
Une grande partie des scénarios, pièces de théâtre, fictions pour des podcasts ou BD est issue actuellement de textes préexistants (nouvelles, romans…). Jusqu’où appréhender l’adaptation à travers ce stage ?
Adapter c’est transformer, et c’est un geste créatif incroyablement ludique. Plus je mène ce travail, plus je prends plaisir à manipuler et bricoler pour la scène un matériau qui ne lui est pas destiné. Les enjeux sont multiples : avant tout il s’agit de s’autoriser, je crois que c’est fondamental. Consciemment ou non, qu’on ait été bon à l’école ou pas, qu’on soit un gros lecteur ou qu’on ait aucune culture du livre, la façon dont nous sont donnés les grands récits est écrasante. De façon contradictoire on nous apprend que ceci est un modèle de perfection et dans le même temps que c’est le lecteur qui construit son histoire à travers le texte. Ce n’est pas très confortable. Adapter est une manière de se réapproprier tout ça, de retrouver cette marge d’interprétation qui nous est garantie dans les bonnes histoires.
Sera-t-il question dans ce stage d’adapter un de ses textes pour tous types de support (scénario, nouvelle, roman ou pièce de théâtre) ? Ou partirez-vous de textes existants ?
Pour cette initiation, j’ai choisi de partir d’un texte commun. Je ne le dévoile pas ici mais il s’agira d’un texte méconnu et assez court d’un géant de la littérature classique. Je veux qu’on puisse s’amuser avec un matériau facile à appréhender mais qu’on se heurte à la question du modèle. Partir d’un texte commun favorisera aussi les échanges et alimentera une réflexion collective sur les mille façons de s’y prendre.
Votre approche de l’adaptation est-elle celle d’isoler un élément d’un texte pour en adapter l’histoire à un support différent ? Quels moyens mettez-vous en œuvre pour y parvenir ?
Isoler un épisode, un personnage, un motif, fait évidemment partie du répertoire d’outils dont nous disposons pour adapter un texte, quel que soit le genre de destination. Mais j’aime avant tout m’appuyer sur la question de la tonalité. Il est toujours étonnant d’avoir ce débat avec un groupe : à propos d’un même texte, on aura des remarques très divergentes : moi je trouve ça triste, moi je trouve ça lumineux, moi j’ai pensé à ceci, moi à cela. C’est toujours une surprise. Je crois que la question de la réception et du ressenti, si on y consacre assez de temps, ouvre une première piste très personnelle qui permettra ensuite de manipuler des outils plus techniques tout en suivant son propre sillon.
Vous avez été formé à Aleph à l’animation d’atelier d’écriture et aux écritures professionnelles. Quels ont été les apports de ces formations à votre pratique aujourd’hui ?
Ils sont multiples. La rigueur et la richesse de ma formation auprès d’Isabelle Rossignol et Françoise Guillaumond reste un véritable échafaudage de ma pratique de l’atelier. J’ai gardé d’elles cette vision panoptique du groupe et de la proposition d’écriture, toujours un œil sur ce qui est en train de se produire. Au sein du groupe, l’imaginaire et les histoires personnelles sont un bien partagé dont je suis le garant. Via l’écriture, je sais précisément ce que je cherche : la découverte de chemins d’expression neufs, l’acuité collective aux belles choses qui nous habitent, l’admiration pour ces textes qui fondent le lien. Avec Philippe Chenot, j’ai appris à aller plus loin dans la construction d’une identité collective : dire son métier, raconter sa vie professionnelle, cela m’a ouvert à de très intenses expériences à l’université Paris 8 avec des dirigeants d’associations ou récemment avec un groupe d’assistantes maternelles qui ont écrit, réalisé et mis en scène un spectacle sur leur quotidien à l’attention des parents. Est-ce une forme d’adaptation ? sans doute.
L’objectif du stage est-il d’aboutir à une trame narrative complète ?
J’aimerais beaucoup qu’on aille jusque-là bien sûr. Mais on voit bien comme on est tout à coup mis sous pression par le terme : il n’y a plus de trame narrative dans ce qu’on se propose de réaliser en adaptant un récit. Que ce soit pour la scène, la radio, un album, une comédie musicale, on va s’émanciper du cadre narratif et chacun va en découdre avec les caractéristiques du genre dans lequel il opère sa transcription. C’est très excitant, parce qu’on découvre à quel point les codes sont poreux. Il faut oser des embardées tout en se disant : est-ce réalisable ? Est-ce trop ? Est-ce suffisant ? Il faut se sentir libre et se dire : je suis l’auteur de ce texte, je fais bien ce que je veux !
Quel livre conseilleriez-vous avant de nous plonger dans ce stage ?
On n’a pas encore prononcé le gros mot de “dramaturgie”. Voilà qui est fait. Quel que soit le genre de destination, il y a un invariant qui touche à la fois au texte, au déploiement d’une histoire ou d’un univers et à l’expérience qu’on propose au lecteur-spectateur-auditeur. On appellera ça la dramaturgie. Le livre d’Yves Lavandier, La dramaturgie, les mécanismes du récit, sont une somme sans cesse rééditée qui a l’avantage de s’intéresser à tous les genres sans exception. Le texte est libre de ton mais rigoureux, ce qui le rend très accessible. La dernière édition date de 2019 aux Impressions nouvelles.