Si des écrivains et mathématiciens se réunissent depuis les années 60 dans le cadre de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) c’est qu’au delà d’être un jeu intellectuel, l’écriture à contrainte n’est pas gratuite. L’objectif est d’inventer des règles inédites pour écrire afin de créer des œuvres nouvelles.
Si vous connaissez les œuvres des plus célèbres Oulipiens : Exercices de style de Raymond Queneau ou La disparition de Georges Pérec, savez-vous que cette pratique est toujours aussi vivante et pourrait vous aider dans vos projets d’écriture ?
Pour Hervé Le Tellier, actuel président d’OULIPO, se fixer une contrainte permet d’aller plus loin : « dans les romans, on fait apparaître des situations nouvelles. » Ainsi, pour son livre Assez parlé d’amour, il a imaginé le jeu des dominos Abkhazes pour lui permettre de déterminer l’ordre d’apparition des personnages dans les différents chapitres; chaque personnage étant associé à un numéro de 1 à 6. Au milieu de ce roman où sont retracées les trajectoires amoureuses de deux couples, il devait écrire un chapitre où les deux femmes se rencontraient. Cette contrainte l’a conduit à écrire une scène à laquelle il ne s’attendait pas. Les femmes se croisent dans une boutique de vêtements, l’une achète la robe que l’autre laisse sur le cintre. Ce chapitre est une sorte de résumé du roman qui traite de la question de l’ambivalence et de la capacité de choisir entre deux hommes.
Dans L’Anomalie, prix Goncourt en 2020, Hervé Le Tellier s’est appuyé sur d’autres contraintes. Ce « roman dans le roman », qui pourrait faire écho au délicieux Si une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino, un autre célèbre Oulipien, lui permet d’explorer différents genres littéraires. Il a également procédé au décalage de certains chapitres de romans célèbres. Il ne révèle pas tous ses secrets mais évoque l’incipit de La promesse de l’aube qu’il a transformé. A partir de la plage de Big Sur qui se trouve dans le livre de Romain Gary, Hervé Le Tellier nous emmène sur une falaise… Le jeu de piste se poursuit ainsi en creux de la trame narrative.
L’intérêt de la contrainte est qu’en posant un problème, elle oblige à se détourner de ses automatismes pour trouver une solution différente à la construction d’un roman, qui guidera l’auteur vers des solutions inédites… Le Tellier ajoute : « Avec la contrainte, je me ralentis. On ne se rend pas compte à quel point on a des schèmes narratifs en tête en permanence. La construction à partir de contraintes fait échapper partiellement à ces clichés. » Cela étant dit, la difficulté n’empêche pas le plaisir et même l’exaltation quand on triomphe de la contrainte…
Si vous aussi, vous avez envie de vous fixer des contraintes pour écrire, vous pouvez découvrir celles que proposent les membres de l’OULIPO et qui ne demandent qu’à être réutilisées !
Camille Berta
Pour aller plus loin :
Lien vers les propositions de l‘OULIPO
J’écris sous la contrainte – Revue de la BNF n° 20 2005 / Bookmakers – Arte Radio
Camille Berta aime aller à la rencontre de différents publics pour les accompagner sur la voie de l’écriture.
Elle anime notamment des ateliers d’écriture littéraire à l’Université et des ateliers à distance dans le cadre de l’Alliance française… Sensible à l’art et à la photographie, elle aime utiliser l’image pour engager l’écriture. Toutes ses formations ici