Lettres à Proust : Christian Galiana, Michel Capdupuy

En réponse à la proposition d’écriture d’Arlette Mondon-Neycensas, vous nous avez envoyé votre lettre d’admiration à l’artiste avec lequel vous êtes depuis longtemps en dialogue intérieur. Voici les textes de Michel Capdupuy : Monsieur P, et celui de Christian Galiana : Se coucher de bonne heure.

Se coucher de bonne heure

− Longtemps, je me suis couché de bonne heure ! Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre, Marcel que tu te sois couché de bonne heure ! Tu crois qu’avec une intro pareille, ça va donner au lecteur l’envie de s’en taper 2400 pages ? Hein ? Je te le demande, Marcel ! C’est comme si moi je commençais en disant qu’enfant, j’avais toujours mon petit pot bleu au pied du lit pour faire pipi la nuit… Tu vois ?
Et le titre, alors : À la recherche du temps perdu… Gnagnagna gnagnagna. On va pas aller loin avec ça !

Un mois plus tard.

Pantois, mon Marcel, j’en suis resté pantois ! Pends-toi et repends-toi me disais-je ! Mais c’est un chef d’œuvre ! Il faut que tu repasses me voir. Comment te dire à quel point j’ai apprécié cette langue à la fois souple et épaisse, ces longues phrases qui enroulent avec tellement de talent ces imparfaits du subjonctifs tellement kitch et que j’adore. Oui, À la recherche du temps perdu va traverser les âges, j’en suis sûr ! et je suis prêt, mon Marcel, à te publier ! Oui, je me permets de t’appeler mon Marcel, mais ne va pas quand même te faire des idées, ce ne sera pas avec moi…
Oui, je reviens à ton Longtemps, je me suis couché de bonne heure… Finalement, j’adore cette façon d’évoquer la banalité qui me rappelle les meilleurs Carver ou Brautigan. C’est comme le coup de la madeleine, une réussite, un coup de maître !
Bon, là, il faut que j’y aille, mais surtout passe me voir dès que possible. Et… à propos… tu continues à te coucher de bonne heure ?

Christian Galiana

 

Monsieur P,

Longtemps, moi aussi je me suis couché de bonne heure. Pour lire. Ainsi ai-je pu ouvrir votre « Recherche ». Le titre du premier volume me fascinait : « Du Côté de Chez Swann ». Du côté du cygne, celui dont le chant précède la mort — ou du signe que vous me faisiez, au-delà delle.

Cest comme cela que jai pu entrer chez vous, comme on entre chez soi. Cest comme cela que jai appris à respirer vos phrases, en apnée, assis à vos côtés.

Cette intimité devenue mienne, cette expérience lorsque je croisai Mme de Guermantes et fréquentai son salon, ont accompagné toute ma jeunesse et c’était avec effroi que je voyais sapprocher le moment où le temps serait retrouvé.

Et cest arrivé. Jai refermé le dernier volume et voilà quil me faudrait maintenant remplir ces heures que vous me laissiez en tas à trier, à vivre et qui ne seraient plus à laune de vos mots.

Je ne vous salue pas, Monsieur P. Depuis vous, je me couche sous le malheur le plus souvent.

Michel Capdupuy